Culture
Territoire d’exception en matière d’architecture, la Suisse fait figure de modèle. Architectes talentueux, écoles prestigieuses, culture constructive et volonté politique forte ont façonné cette aura que le monde entier lui envie.
Sur une surface d’à peine plus de 40 000 km², une concentration d’excellentes signatures et de bâtiments qui donnent le vertige : bienvenue en Suisse ! Inutile de rechercher les chefs-d’oeuvre, il suffit de se balader et d’ouvrir les yeux pour mesurer la qualité de ce qui sort de terre. La moindre opération de logements fait pâlir d’envie n’importe quel architecte : le béton y est plus que parfait, et le niveau de finition, impressionnant de précision.
Il faut dire que dans le pays natal de Le Corbusier, il existe une vraie culture architecturale et constructive, sérieux rempart à la médiocrité. Alors, comment expliquer ce haut degré de désirabilité de la construction helvétique ? D’abord, par la présence de plusieurs écoles prestigieuses qui forment les meilleurs architectes du monde : l’Ecole polytechnique fédérale de Zurich (ETH) et celle de Lausanne (EPFL), souvent décrites comme rivales, et l’Accademia di Architettura de Mendrisio (AAM).
On y trouve les meilleurs enseignants, qui mêlent recherche, pratique des chantiers et réalité du métier. Ensuite, par un engagement politique très fort.
Quand la France regarde ses jeunes architectes avec méfiance, voire les ignore complètement, la Suisse donne leur chance aux siens, n’hésitant pas à confier d’importants projets aux moins expérimentés. Il y a aussi ce légendaire sens de la précision à toute épreuve, qui s’exprime autant dans l’horlogerie qu’en architecture.
Enfin, par l’argent. Car ne nous méprenons pas, le coût de la construction suisse et celle des pays scandinaves – sur lesquelles tout le monde s’extasie – est nettement supérieur à celui de leurs voisins européens. Aussi, quand les architectes étrangers viennent construire en Suisse, la pression est à son maximum tant le degré d’exigence est élevé. Jean Nouvel (à Lucerne), Renzo Piano (à Berne), Sanaa (à Lausanne) ou Shigeru Ban (à Zurich) ont remporté le pari haut la main, livrant des bâtiments remarquables et, pour certains d’entre eux, leur meilleure création.
Nouvelle génération
Parmi les enfants du pays figurent Herzog & de Meuron, Peter Zumthor, Peter Märkli, Diener & Diener, Gigon Guyer ou encore Bernard Tschumi et Mario Botta, pour ne citer qu’eux. Encore méconnue du grand public, la star du moment se nomme Christian Kerez. Idole des étudiants, il était aux commandes du pavillon suisse de la Biennale d’architecture de Venise en 2016. Il tord le cou à cette croyance selon laquelle les architectes suisses préfèrent le faire au dire, versant assez peu dans le discours théorique.
Lui, au contraire, revendique la prise de position critique, au risque de ne pas plaire. La neutralité ne serait donc pas génétique ! D’une manière générale, la nouvelle génération tente de bousculer cette image lisse et parfaite de l’architecture suisse. S’il est un bâtiment culte qui a façonné cette identité sans accroc, ce sont les thermes de Vals livrés en 1996 par Peter Zumthor, référence internationale de cette excellence helvétique. Les années 90 ont ainsi propulsé la Suisse au rang de porte-drapeau du minimalisme architectural qui ne correspond plus tout à fait à la réalité.
Depuis deux décennies, les plus jeunes se sont affranchis de leurs maîtres et d’un supposé modèle homogène. Une image parfaite qu’Andreas Ruby s’est attelé à remettre en question. En 2016, le directeur du musée suisse d’Architecture (SAM) a conçu l’exposition Schweizweit, présentée l’année suivante au centre d’architecture Arc en rêve, à Bordeaux. Il a demandé à 162 agences d’architecture suisses de fournir trois photos des bâtiments les plus à même de représenter leur vision de l’architecture suisse.
Cette topographie donne à voir une réalité bien plus hétérogène qu’on aurait pu l’imaginer. En France, l’exposition était d’ailleurs titrée Il n’y a pas une architecture suisse. Un titre volontairement provocateur pour dynamiter les clichés et témoigner de la vivacité d’une scène fertile, protéiforme et moins dogmatique, qui n’a pas fini de faire parler d’elle.
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