The Good Business
Le bottier anglais fête cette année ses 140 ans. A sa tête, Jonathan Jones, descendant des fondateurs, garantit la tradition britannique dans les ateliers historiques, qui fabriquent des souliers renommés bien au-delà des frontières du royaume.
Comme souvent, les grandes maisons britanniques qui nous fascinent aujourd’hui ont acquis leurs lettres de noblesse sous le règne de la reine Victoria. C’est le cas de Crockett & Jones, fondé en 1879 par deux beaux-frères, James Crockett et Charles Jones. La branche Crockett s’est fondue au fil du temps avec celle des Jones, qui a toujours la haute main sur l’entreprise 100 % familiale.
Elle est, bien entendu, située à Northampton, fief historique de la chaussure anglaise. Au XXIe siècle, Crockett & Jones exporte 65 % de sa production – notamment au Japon, son premier marché extérieur, et aux Etats-Unis – pour un chiffre d’affaires global de 34 millions d’euros environ. Cette année se profile une seconde boutique à New York, annonce Jonathan Jones, qui résume en une phrase la philosophie maison : « Nous avons toujours un oeil sur l’avenir, mais l’autre est fermement axé sur nos succès d’hier. »
La politique des petits pas
Revendiquant sa lenteur de tortue, ce bottier évolue à tous petits pas au fil du temps dans l’effort, louable, de ne pas abîmer ou dévoyer le bel héritage. Ainsi, vous qui adorez les beaux souliers, sachez qu’il est toujours impossible d’en commander une paire d’un clic.
Pas de site prévu avant 2020. Un parti pris qui ressemble à celui en vigueur dans l’univers de la haute horlogerie il n’y a encore pas si longtemps ! L’idée est en effet d’inviter les clients à essayer dans les treize boutiques. Car, messieurs, on ne se chausse pas Crockett & Jones comme on enfile une pantoufle ! Il faut acquérir un peu de culture, mûrir sa réflexion entre patines et peaux, dont le Cordovan, apprécié des puristes. Précieux et gras, il provient de la « culotte du cheval », dans laquelle ne tient qu’une paire de souliers par animal.
Enfin, il faut s’initier aux subtilités du style britannique, comme on s’initie à la recette secrète et rare d’une arrière-grand-mère. Notre tortue a aussi pris le temps de lancer ses propres collections qui n’existent en fait que depuis vingt ans.
Durant cent vingt ans, Crockett & Jones est resté un pur fabricant, produisant des chaussures étiquetées sous d’autres noms, comme Ralph Lauren ou Paul Smith. Certes, l’atelier de Northampton accepte encore ponctuellement quelques commandes, mais la stratégie est un recentrage total sur ses propres modèles – 120 000 paires par an sortent de la manufacture.
Beaucoup de grands bottiers anglais – et non des moindres – remontent le fil de leurs riches archives afin de livrer leurs ambassadeurs emblématiques rafraîchis, et ce cortège vintage fait partie des must have pour les fans de beaux souliers. Crockett & Jones n’échappe pas à la règle, comme le prouve la forme 224, conçue en 1953 et toujours produite, avec ce bout arrondi généreux et ce chaussant qui a bien résisté au passage du temps. On la trouve désormais sous le nom de Chiltern.
Autre modèle historique et best-seller absolu : la bottine Chukka. Notez, pour le printemps, la nouvelle version du mocassin Camden, plus décontracté que son cousin, le Cavendish, car dépourvu de pompons et décliné en trois coloris. Apparaissent ainsi, parfois, des souliers inédits par leur forme – une trentaine par an. Ce bottier délaisse même de temps à autre la semelle en cuir pour des semelles de crêpe légères et souples (tant il est vrai que le soulier anglais pèse une tonne). Ces gommes sont, bien évidemment, fabriquées sur place, dans l’atelier.
Une 5e génération à l’oeuvre
En 2006, Philippa Jones entre dans l’entreprise familiale à l’âge de 21 ans. Elle s’occupe aujourd’hui de l’export, tandis que son frère, Oliver, est chargé des opérations de développement. Ainsi, trois membres de la même famille travaillent de concert puisque leur père, Jonathan Jones, dirige l’orchestre des 400 employés à Northampton. La fierté est de tout produire en interne, depuis le choix des peaux et la mise en teinte jusqu’au coup de cire final, avant la mise en boîte d’un soulier forcément princier.
Le but, dit régulièrement Jonathan Jones, « est d’offrir la plus belle qualité possible au meilleur prix ». Comme le précise le chargé de communication Jean-Dominique Luciani, qui a fait toute sa carrière pour cette marque : « Chez Crockett & Jones, on pratique le cousu Goodyear mais aussi le Storwelt, un montage plus isolant pour l’hiver – presque norvégien – réservé en général aux cuirs grenés des bottes ».
Quant aux services, ils sont innombrables : ressemelage à la manufacture, service de patines (on recommande la boutique de Jermyn Street, à Londres, pour ses coloris, ses marbrures et ses glaçures incroyables). Enfin, à Paris, le bottier Dimitri Gomez crée le soulier Crockett & Jones de vos rêves, à vos mesures – façonné sur une forme en bois comme au XIXe siècle, de A à Z… Là encore, le travail a lieu in situ, comme une géographie de la tradition appliquée au monde moderne.
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