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De la maison familiale au penthouse de luxe, en passant par le 3-pièces en location, le marché immobilier de Miami bouillonne. Aussi varié que sa clientèle, très internationale, il fait émerger de nouveaux quartiers, repoussant toujours un peu plus loin les habitants historiques.
Plus de 80 gratte-ciel dessinent aujourd’hui la skyline de Miami. Et ce n’est pas fini ! Entre les tours en construction, celles qui sont en cours de finition et les nouveaux projets, ce sont plus de 50 grands immeubles qui s’ajouteront au paysage au cours des prochaines années. Qu’on regarde vers le continent ou du côté de l’océan, les grues montent de plus en plus haut et leur ballet quotidien anime le ciel bleu de la capitale économique de la Floride.
Difficile d’imaginer que dans le quartier de Brickell, par exemple, la moitié des immeubles n’existaient pas il y a cinq ans. Seules certaines îles de la baie, comme Fisher Island ou le chapelet des Venetian Islands, ont conservé leur allure de petite ville américaine. Les propriétés y sont particulièrement prisées pour leur ponton, leur jardin au bord de l’eau et le fait que tout y est accessible à pied, à vélo ou en bateau. Les ventes y sont peu fréquentes et le prix au mètre carré peut monter jusqu’à 30 000 dollars pour des maisons de plusieurs centaines de mètres carrés.
Quant aux rares terrains encore disponibles au bord de l’eau, ils s’arrachent à prix d’or. « En juillet dernier, nous avons vendu deux terrains au bord de l’eau sur l’une des Venetian Islands à un acheteur français pour 11,5 millions de dollars ! Il prévoit d’y construire deux maisons de 500 m2 chacune, avec des prestations haut de gamme », précise Elisabeth Gazay, directrice et associée de Barnes Miami. Pour construire la maison de leurs rêves, certains acquéreurs n’hésitent pas à démolir les maisons existantes, lorsqu’elles ne sont pas classées, pour les remplacer par des maisons ultramodernes, signées par de grands architectes et truffées de nouvelles technologies domotiques.
82 mois de hausse consécutifs
Il semble que, de booms en ralentissements, parfois violents, l’immobilier à Miami ne cesse de se réinventer et, surtout, de se redynamiser. L’année 2018 a confirmé la bonne santé du marché. Selon l’association des agents immobiliers de Miami (Miami Association of Realtors), au cours du seul mois de septembre 2018, 978 maisons individuelles ont été vendues dans le comté de Miami-Dade, soit 43 % de plus qu’en septembre 2017 (684 ventes) pour un montant total de 525,7 millions de dollars (+ 61,1 % par rapport à septembre 2017).
Soit un prix moyen par maison de 360 000 dollars. Septembre 2018 a ainsi été le 82e mois consécutif de croissance pour ce segment du marché. La chute brutale qui a frappé l’immobilier de 2008 à 2010, après la crise des subprimes, semble bien loin… Tous segments confondus, condominiums, maisons individuelles et résidences de luxe, les transactions ont atteint le montant de 900 millions de dollars en septembre 2018, en hausse de 42,6 % par rapport à septembre 2017. Et ces chiffres ne concernent que les ventes de biens déjà construits.
Du côté des nouveaux immeubles qui jalonnent la ville, un pic a été atteint en 2014, avec pas moins de 23 nouveaux projets de gratte-ciel lancés cette année- là. Selon le courtier immobilier ISG World, qui publie chaque année le très attendu Miami Report, le nombre de nouveaux projets a progressivement diminué depuis ce pic, passant de 18 en 2015 à 14 en 2016, puis à 10 en 2017. En 2018, seulement cinq nouveaux projets ont été lancés et il n’y en aurait pas plus de trois en 2019, puis autant en 2020. Or, entre la prévente, nécessaire désormais pour obtenir les permis de construire et surtout les financements du projet, la construction de la structure, l’aménagement intérieur et les finitions, il s’écoule entre trois ans et demi et quatre ans avant que les appartements ne soient livrés à leurs propriétaires.
Moins de nouveaux projets se traduit par une réduction progressive du nombre de biens disponibles à la vente. ISG World précise que sur les 74 immeubles déjà construits, vendus à 94 %, et les 43 en cours de construction (prévendus à 77 %), soit 18 668 appartements, il ne restait que 2 419 unités à vendre à l’automne dernier. Auxquels s’ajoutent les 875 appartements des 13 gratte-ciel encore en projet. De fait, l’offre est moins abondante qu’il y a quelques années.
Selon ISG World, sur plus d’un million d’habitations tous types confondus du comté de Miami-Dade, il n’y en aurait guère plus de 3 % qui seraient proposés à la vente ou à la location. Le courtier ne s’alarme pas pour autant, soulignant que ce taux est stable depuis 2010, et ce malgré l’augmentation continue du nombre de biens disponibles.
Cette intense activité se traduit par une augmentation de l’emploi dans le bâtiment de 21,8 % entre septembre 2017 et septembre 2018. Le faible taux de chômage dans le comté (4 % environ) et les perspectives à moyen et long termes dans la construction s’ajoutent aux nombreux facteurs qui font de Miami une ville particulièrement attractive. Le centre-ville – qui correspond au Central Business District (CBD, le Downtown historique), Brickell, Omni (également nommé Arts & Entertainment District) et Park West – a ainsi vu sa population augmenter de près de 40 % depuis 2010, pour dépasser 92 000 habitants. Le bureau de Miami Downtown Development Authority (MDDA) estime que la population du centre-ville sera de plus de 106 400 personnes en 2021.
Les nombreux atouts de Miami
Fait nouveau, ce ne sont plus seulement les travailleurs en quête d’un emploi ou les riches Sud-Américains et Européens en quête d’investissements rentables ou d’une résidence au soleil qui s’installent à Miami. Depuis quelques années, la ville séduit les « jeunes professionnels » de la tech ou de la finance, tant de la côte Est que de la côte Ouest des Etats- Unis, et d’Europe. Ce qui les attire ? D’abord le contexte fiscal de la ville et de l’Etat, qui est plus que favorable : les particuliers ne paient pas d’impôt sur le revenu à l’Etat de Floride ou au comté de Miami-Dade, et l’impôt d’Etat sur les sociétés n’est que de 5,5 %.
Mais aussi le coût de la vie : base 100 en moyenne nationale pour les Etats-Unis, il est de 114,1 à Miami, 227 à Manhattan, 177,5 à San Francisco ou 146,8 à Washington DC. S’ajoutent à cela un climat agréable, une moyenne d’âge de 39 ans (Miami ne serait donc plus la ville des retraités !), la foire d’art contemporain Art Basel, bientôt un grand prix de formule 1, la création d’un club international de football par David Beckham, la qualité de l’enseignement supérieur, la localisation qui fait de Miami la « porte des Amériques », une centaine de destinations internationales desservies par des vols directs, une ville à taille humaine où l’offre de commerces, de restaurants et de bars monte en gamme et s’enrichit chaque jour…
Bref, une qualité de vie et un contexte très international – plus de la moitié des habitants du comté sont nés à l’étranger – ont récemment attiré de nouvelles populations. Arrivé de France il y a neuf ans comme étudiant, Adam Redolfi est aujourd’hui associé chez Barnes, et s’occupe des nouveaux programmes. « Miami est une ville humaine qui a sa propre identité, qui l’affirme et qui la développe. Les prix de l’immobilier sont ici beaucoup plus accessibles qu’à New York ou à San Francisco. Là-bas, avec un salaire à 6 chiffres, vous vivez moyennement. Ici, vous avez un très bon niveau de vie ! »
Pour Niki Mangon, du service de développement de la MDDA, « la ville a beaucoup changé au cours des dernières années, car l’immobilier l’a rendue beaucoup plus attractive pour les “jeunes professionnels”, surtout les jeunes Européens. La mentalité de Miami tient dans sa devise : “Live, work and play”. Ici, il y a de nombreux espaces de coworking, et de nouveaux quartiers sont en train d’émerger. » Arrivée de Chicago il y a dix ans pour poursuivre ses études, elle n’est pas repartie. Aujourd’hui, elle loue un appartement au bord de la Miami River avec son mari pour 1 750 dollars par mois. Pas dans le quartier le moins cher de Miami, « mais nous allons au bureau à pied et nous sommes en plein centre-ville ! » précise- t-elle.
Une majorité de locataires
Voilà une autre des caractéristiques de l’immobilier à Miami : plus de deux habitants sur trois y sont locataires. Selon le Census Bureau, l’office des statistiques américain, la ville compte moins de 32 % de propriétaires, alors qu’en 2017 la moyenne, en Floride, était de 63,6 % (et de 64,4 % pour l’ensemble des Etats-Unis). « Cela est dû au fait que beaucoup de jeunes viennent étudier ou entreprendre, ils préfèrent louer dans un premier temps. Cet aspect attire les promoteurs qui investissent dans des résidences destinées à la location, ce qui dynamise le marché. C’est le cas actuellement dans des quartiers comme Wynwood, par exemple », remarque Elisabeth Gazay.
Le journal de l’immobilier The Real Deal a d’ailleurs souligné qu’en 2017, pour la première fois dans l’histoire de la Floride du Sud, avaient été construits plus d’appartements destinés à la location que d’appartements destinés à être habités par leurs propriétaires. Le quartier de Downtown, dans le centre-ville de Miami, est très différent des autres « downtowns » américains.
« Quand les prix de l’immobilier ont baissé, au moment de la crise, beaucoup de jeunes sont venus s’installer dans Downtown et nombre d’entre eux y sont restés. Aujourd’hui, ils ont fondé une famille et ils continuent de vivre dans le centre-ville, ce qui est nouveau dans l’histoire de Miami. Conséquence, Downtown est devenu un quartier résidentiel en forte croissance », explique Ken Russell, président du conseil de MDDA.
Si les « jeunes professionnels », âgés de 25 à 44 ans, représentent toujours 45 % de la population de Downtown, les familles y sont de plus en plus nombreuses. Pour répondre aux attentes de ces familles, le centre-ville s’est équipé d’écoles, d’espaces verts, de commerces variés, de lieux culturels, etc. Cette mixité des activités prime dans toute la ville et surtout, dans tous les nouveaux projets d’aménagement urbain. Les immeubles récemment construits ou à venir sont systématiquement composés de commerces en rez-de-chaussée, de bureaux dans les premiers étages et d’appartements pour le reste de l’immeuble.
Où qu’ils soient situés, les nouveaux quartiers accueillent tours d’appartements, espaces verts, hôtels, parkings – tant pour les voitures que pour les vélos –, écoles, espaces de coworking, équipements sportifs et culturels, restaurants… Cependant, ils sont loin de faire l’unanimité. Outre les problèmes liés à l’environnement, à l’utilisation des ressources et au trafic automobile qu’ils génèrent, ces nouveaux aménagements contribuent à la gentrification de quartiers populaires dont les habitants historiques sont progressivement exclus, comme c’est actuellement le cas dans le quartier de Little Haiti.
Et ce d’autant plus facilement que les baux sont généralement signés pour une durée d’un an seulement. « Les nouveaux projets obtiennent l’accord de la ville, car ils promettent de créer des emplois, mais ce sont généralement des emplois peu qualifiés et mal rémunérés », remarque Marta Viciedo, cofondatrice et directrice de la stratégie d’Urban Impact Lab, un cabinet de conseil et d’études en urbanisme. Miami ambitionne de devenir une grande ville, « a great city », comme le répètent tous les acteurs de son développement.
« Miami a tout pour le devenir, c’est-à- dire qu’elle est vivable, prospère, résiliente, équitable, connectée, compétitive, citoyenne et agréable. Elle a toujours été portée par l’immobilier et par les promoteurs. Contrairement à Paris ou à Madrid, où il n’est pas facile de lancer de nouveaux grands projets, ici, il y a beaucoup de possibilités, à condition de faire collaborer les différents acteurs, de ne pas laisser les promoteurs et les pouvoirs publics décider seuls », poursuit Marta Viciedo.
Une ville aux mains des promoteurs donc ? En 2013, le Miami Art Museum a été rebaptisé Pérez Art Museum Miami en hommage à son plus gros donateur, Jorge Pérez, fondateur du Related Group, le plus gros groupe immobilier de Floride. Il ne s’agit donc plus uniquement de dessiner une skyline, l’ambition des promoteurs semble aller au-delà. C’est peut-être là l’écueil…
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