The Good Business
Installé dans son nouveau site du Marine Stadium de Virginia Key, le Miami International Boat Show s’inscrit comme l’une des plaques tournantes de l’industrie nautique américaine. Un marché en pleine croissance.
Fracas vrombissant d’offshores surmotorisés partis faire une pointe de vitesse dans la baie, silhouettes d’élégants Express glissants sur les eaux turquoise, opens rutilants aux décorations délirantes et fishings conquérants armés de quatre, cinq ou six hors-bord de 300 ch… Bienvenue au Miami International Boat Show (MIBS), la grand-messe du nautisme mondial, où se pressent, chaque année, plus de 100 000 visiteurs venus des deux hémisphères.
« C’est une ambiance de dingue, avec toute la débauche de moyens et les mille extravagances dont sont capables les Américains. Un événement incroyable, qui nous en met plein les yeux. J’adore ! » se réjouit Seb Brown, start-upper franco-américain qui assure n’avoir manqué aucune édition depuis qu’il s’est installé à Miami Beach, il y a dix ans. Chaque année en février, alors que l’Europe grelotte, le Boat Show donne toute la (dé)mesure et les tendances de la plaisance internationale, dévoilant les dernières nouveautés et avancées technologiques.
Chantiers américains, marques européennes, équipementiers scandinaves et motoristes japonais, concessionnaires de la côte Est à la côte Ouest, en passant par les rives des Grands Lacs, de l’Amérique centrale ou des Caraïbes… Au pays qui a inventé le motonautisme, et qui représente – de très loin – son plus gros marché, impossible de ne pas « y être ».
Quel meilleur indicateur que le nautisme, activité de loisir des plus dispendieuses, pour prendre le pouls du moral économique d’un pays ? Dans les marinas des Etats-Unis, tous les voyants semblent au vert. L’impression se confirme en parcourant les dizaines de pontons de ce gigantesque Boat Show, plaque tournante de la plaisance américaine. Avec Miami pour épicentre. A lui seul, l’Etat de Floride concentre une flotte de 900 000 bateaux immatriculés, les activités nautiques générant un chiffre d’affaires annuel de 2,5 milliards de dollars.
Cet Etat représenterait de 30 à 40 % des ventes de Boston Whaler, marque emblématique pour la qualité de ses opens et de ses fishings insubmersibles. Du made in the USA construit à Edgewater, à 390 km au nord de Miami. Le Miami International Boat Show ? Ce sont désormais 1 400 bateaux – dont 700 à flots et 200 disponibles à l’essai –, réunis autour de 25 000 m² de pontons. Le tout dans un cadre exceptionnel, avec, en toile de fond, la skyline de Downtown…
En 2018, la totalité des produits exposés (bateaux, moteurs, équipements, etc.) représentait la coquette somme de trois milliards de dollars. Machine bien huilée, le MIBS génère un revenu annuel de 854 millions de dollars, et assure un emploi à temps plein à 6 000 Floridiens.
Un déménagement controversé
En 2019, la 78e édition du salon de Miami se déroulera du 14 au 18 février. Soit sur cinq jours seulement. Avec un slogan qui claque : « Just Got Bigger ». Cet ambitieux programme est en phase avec la croissance du marché. Et il permet de faire oublier les difficultés liées au grand déménagement du salon, en 2016. Un big bang orchestré par la National Marine Manufacturers Association (NMMA), la puissante fédération de l’industrie nautique américaine, qui en est aussi l’organisatrice.
Polémiques, accès contraignant, colère des riverains soucieux de préserver leur cadre de vie idyllique, la décision de déplacer le MIBS du Miami Beach Convention Center vers le Miami Marine Stadium de l’île de Virigina Key n’a pas été une mince affaire. Assumé par la NMMA, le choix continue à faire des mécontents. Site superbe campé sur neuf hectares au milieu de la mangrove, avec son arène, ses gradins et ses tremplins de ski, ses six tentes climatisées, chacune de la taille d’un hall de gare, le Marine Stadium reste difficile d’accès.
Il est relié à Downtown par un pont suspendu qui finit en impasse à Key Biscayne. Une route unique souvent saturée et des parkings situés trop loin des stands… « Ces complications sont agaçantes. Les clients expriment leur mécontentement. Les organisateurs ont vraiment besoin de travailler la logistique… » témoigne Jean- Paul Chapeleau, directeur général des marques françaises Jeanneau et Prestige Yachts (Groupe Bénéteau).
Déploiement de lignes de bus, de navettes maritimes et de bateaux-taxis… les efforts entrepris à chaque édition pour fluidifier l’accès seront-ils enfin payants cette année ? « Les embouteillages ont engendré une baisse de la fréquentation de la clientèle locale et, par ricochet, le mécontentement des concessionnaires régionaux », se désole ce dirigeant d’une importante marque américaine.
Délogée de son site historique et poussée vers la sortie par la municipalité de Miami – trouvant que les activités pétaradantes du Boat Show ne reflétaient pas l’image artistique et culturelle que voulait se donner la ville –, la NMMA devait dénicher un cadre propice au développement futur du salon. Et frapper fort. « Ce qu’elle a fait avec le Marine Stadium, sorte de colisée nautique grandiose. Un lieu qui a apporté un souffle nouveau au salon », témoigne Laurent Fabre, ancien dirigeant de Bénéteau USA et fondateur d’Open Ocean. « Les organisateurs ont vu grand. C’est un rouleau compresseur à l’américaine. Les handicaps initiaux vont disparaître, et les choses vont évoluer. »
Concurrence et grand écart
Malgré ses « péchés de jeunesse », cette nouvelle formule et son activité grandissante sur l’île de Virginia Key ont bouleversé le déroulement du salon de Miami. Ou plutôt des salons de Miami. Puisqu’ils sont (au moins) deux à se tenir aux mêmes dates. Deux manifestations XXL créées par deux organisations concurrentes. Salon historique, le MIBS était, à l’origine, essentiellement centré sur le marché américain.
Avec tous les travers d’un événement fortement syndiqué, car tous les exposants ont l’obligation de faire appel à des prestataires certifiés pour la mise en place de leur stand. Ce qui fait gonfler la facture. Show Management, son rival privé (également organisateur des Boat Shows de Fort Lauderdale et de Palm Beach), a développé le Miami Yacht Show, sur Collins Avenue.
Un événement focalisé sur le brokerage (le marché de l’occasion) dans l’univers scintillant des yachts. « Les marques européennes, françaises et italiennes, en premier lieu, n’ont pas eu d’autre choix que de s’installer sur Collins Avenue. Laquelle, au cours des quinze dernières années, a pris un essor extraordinaire, et a concurrencé l’organisateur de référence. A tel point que l’emblématique société américaine Sea Ray est venue exposer sur Collins », se souvient Laurent Fabre.
Avec 23 MIBS à son actif, cet expert du marché américain trouve ici le terreau idéal pour développer les réseaux de ses clients européens, telles les marques Fountaine-Pajot et Dufour. Mais en changeant de cadre, le MIBS a bouleversé la cartographie de l’événement. Installé nettement plus au sud de la ville à Virigina Key, il s’est éloigné de Collins Avenue, au nord de Miami Beach. Rendant plus difficile encore pour les visiteurs de passage la possibilité de se déplacer sur les deux sites.
D’autant que, depuis 2018, l’ensemble de la flotte de 70 voiliers du salon Strictly Sail de Bayside (à Downtown) a rejoint les bateaux à moteur du Marine Stadium. Devant l’ampleur du changement, Show Management a décidé de suivre le mouvement. En 2019, le Miami Yacht Show quittera Collins Avenue pour Biscayne Bay, près de la Sea Isle Marina, au nord de Downtown. Le Miami Yacht Show se rapprochant ainsi de lui-même du MIBS.
Reste une différence de taille : celle des bateaux exposés. Les unités à moteur visibles au Marine Stadium n’excédant pas les 40-50 pieds, alors que les yachts de plus de 15 mètres seront eux à Biscayne Bay. Les marques possédant un catalogue étoffé devront ainsi continuer de faire le grand écart… « Avoir affaire à deux organisateurs, dans deux espaces différents, ce n’est jamais pratique », glisse Jean-Paul Chapeleau, contraint d’exposer ses modèles Jeanneau Moteur et Jeanneau Voile au Marine Stadium, tandis que l’intégralité de la gamme Prestige Yachts sera présente au Miami Yacht Show.
Un marché très convoité
Avec un potentiel de 140 M d’amateurs ou de plaisanciers chevronnés, une flotte de plus de 12 M de bateaux de plaisance, 260 000 unités vendues en 2016, et un chiffre d’affaires de 36 Mds $ – soit une progression de 6 %, qui succède à huit années de hausse consécutive –, l’industrie nautique américaine est en pleine forme. Les résultats 2017-2018 s’annoncent tout aussi convaincants. A titre de comparaison, le chiffre d’affaires de l’ensemble de la filière nautique française était de 4,8 Mds € pour la même période.
La « mafia » locale
Pas sûr que le nouveau visage de l’événement permette aux exposants d’alléger le budget de ce salon réputé cher. Il n’a échappé à personne que pour rentrer dans ses frais, la NMAA a doublé le prix au mètre carré des stands du Marine Stadium. Où l’on retrouve toutes les pratiques habituelles qui forcent les exposants à passer par des entreprises « certifiées » par l’organisateur pour se fournir en tentes, mobilier, éclairage, etc.
« Les tarifs imposés par ces “mafias locales” sont hors de prix », déplore l’importateur d’une marque italienne. Une inflation qui a sa propre limite, celle du budget des exposants… « Avec les contraintes financières liées à ces fournisseurs uniques, il est compliqué de créer à Miami des stands qui soient aussi beaux que ceux des salons européens, comme Cannes ou Düsseldorf », déplore Thomas Gailly, directeur commercial de Lagoon, le leader incontesté des catamarans de croisière. Marque qui se doit pourtant d’exposer dans cet événement incontournable une imposante armada de catamarans allant de 40 à 77 pieds. Et qui, malgré tout, décroche chaque année le prix du plus beau stand !
« Si tu veux faire du business aux Etats-Unis, tu es obligé d’en passer par là », se résigne Esteban, intermédiaire panaméen. En effet, Miami reste The place to be. Arpenté autant par les Américains que par les Québécois ou les Argentins, le show rayonne sur tout le continent. « Miami est le premier salon d’Amérique du Sud », abonde Consuela, d’origine cubaine, adepte de la pêche sportive en famille entre les côtes de Floride et les Bahamas.
C’est par leur présence régulière au(x) salon(s) que les marques européennes Azimut, Fairline, Lagoon ou Ferretti obtiennent de très bons résultats en Amérique du Sud. « Ce sont les Européens, faisant l’effort de parler espagnol, qui ont le mieux exploité le potentiel sud-américain, alors que les Américains demeurent très autocentrés », confirme Laurent Fabre.
Le motonautisme a le vent en poupe
Toutefois, le marché porteur est bien celui des Etats-Unis. Et les échos rapportés lors de l’édition 2018 donnent une vision presque euphorique du secteur. « C’est notre plus belle année depuis la crise de 2008 », exulte Bentley Collins dans les colonnes du magazine Neptune Yachting. « Notre usine tourne à plein régime et nous embauchons à tour de bras », se réjouit le directeur commercial de la marque Sabre. Des unités typées « côte Est » qui représentent le nec plus ultra de la vedette américaine.
Situé à Boston, le chantier concentre ses ventes sur des modèles de plus de 45 pieds, dont le prix oscille entre 1 et 1,5 million de dollars. « La demande pour nos bateaux à moteur n’a jamais été aussi forte », poursuit son voisin de ponton, Bob Johnston. Fondateur du prestigieux chantier de voiliers J Boat et de JMJ, marque motonautique en plein essor. Casquette vissée sur la tête, le vieux loup de mer confirme ainsi une tendance durable : « La clientèle aisée qui pratiquait la voile il y a encore dix ans s’est nettement tournée vers le bateau à moteur. »
Trustant déjà plus de 92 % du marché américain, le motonautisme poursuit donc sa courbe ascensionnelle. Navigant dans le sens du vent, même les chantiers jusque-là spécialisés sur la voile s’y mettent, à l’instar de Melges avec son nouveau Power 38. Un engouement peut-être stimulé par une autre tendance de fond : celle du hors-bord surpuissant. A tel point que même les unités qui étaient jusque-là conçues pour une motorisation in-bord ou une transmission IPS se sont adaptées à cette nouvelle donne.
Ainsi en a décidé JMJ. Ou encore Tiara, avec son 38LS désormais motorisé par trois hors-bord Yamaha de 350 ch. « Le coût n’est pas moins élevé, mais le propriétaire y gagne en performance, comme en simplicité de maintenance », confie le directeur commercial de la marque.
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