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Dynamique et bien desservie, la capitale espagnole a enfin retrouvé le chemin de la croissance. Les investisseurs affluent, les touristes s’y pressent, et les chantiers reprennent leur activité. Un réveil qui allie efficacité et respect de l’environnement.
Madrid renaît. Les Madrilènes en ont pris véritablement conscience en décembre 2017. Pour la première fois depuis dix ans, à l’approche des fêtes, il leur avait été difficile de trouver un taxi le soir et de réserver une table au restaurant. Preuve que les « cenas de Navidad », les traditionnels dîners d’entreprises de fin d’année, étaient de retour. Annoncée depuis trois ans par les statistiques, la reprise économique se faisait enfin concrète. Une croissance qui s’est matérialisée par la réapparition des embouteillages dans le centre-ville, tandis que les grues recommencent à hérisser le paysage urbain.
« Le restaurant et la circulation sont deux bons indicateurs. Dès que l’Espagnol a de l’argent, il sort, il dépense, il profite », explique Rafael Torres, directeur d’un fonds d’investissement américain en Espagne. De retour dans sa ville natale après quinze ans passés à la City, ce financier a retrouvé « la mentalité d’avant la crise » : peu d’épargne, beaucoup de consommation. Depuis deux ans, Madrid est à nouveau une locomotive économique, avec un taux de croissance supérieur à la moyenne nationale (3,3 % contre 3,1 % en 2017). La région de Madrid contribue au cinquième du produit intérieur brut (PIB) espagnol. Avant même les déboires politiques de la Catalogne, elle est redevenue la première ville d’Espagne pour son PIB par habitant.
L’attractivité retrouvée de la capitale se mesure au nombre de touristes, en hausse d’environ 6 % par an depuis 2015, pour atteindre 13 millions de visiteurs en 2017. Ce secteur clé pèse pour 6,3 % du PIB de l’agglomération et pour 12,3 % des emplois. Mais le vrai thermomètre d’une santé recouvrée, c’est l’immobilier. Selon les experts de l’IE Business School, la prestigieuse école de commerce madrilène, la capitale espagnole est, avec Amsterdam, la ville européenne qui dispose du plus grand potentiel d’investissements. L’an dernier déjà, Madrid a enregistré une hausse de 72 % des transactions immobilières, ce qui la place, selon une étude du cabinet Colliers International, au troisième rang européen des villes d’influence, derrière Londres et Paris.
« Autrefois isolée, Madrid est au centre d’une toile d’araignée d’infrastructures ferroviaires et autoroutières de grande qualité. Elle est devenue un pôle d’attraction pour toutes les autres régions du pays, grâce, notamment, à une politique fiscale avantageuse, en particulier concernant l’impôt sur les successions », explique Tom Burns Marañón, un éditorialiste du journal économique l’Expansión.
Envolée de l’investissement hôtelier à Madrid
Le dumping fiscal n’explique pas à lui seul l’arrivée massive d’investisseurs internationaux. La ville possède de bonnes infrastructures, symbolisées par son réseau de transports et l’aéroport de Barajas, un hub pour l’Europe et l’Atlantique Sud. Autre atout majeur, c’est un tissu urbain aéré, capable d’accueillir toute nouvelle implantation de centre logistique, commercial ou de loisirs. L’investissement hôtelier a augmenté de 79 % en 2017 avec un total de 639 millions d’euros. Pour son premier investissement hors de France, la Compagnie de Phalsbourg a choisi Madrid pour sa vitalité économique et commerciale. En 2019, le groupe français ouvrira un centre commercial de 100 000 m2 à Torrejón de Ardoz, une commune de la banlieue est. Un investissement de 160 millions d’euros, dont la première pierre a été posée en 2017 devant tout le gratin politique madrilène. « Nous avons trouvé un écosystème très favorable aux investissements étrangers, avec un accompagnement et un soutien importants des milieux politiques et bancaires », se félicite Mathieu Boncour, directeur des institutions et du mécénat du groupe.
Pour l’immobilier résidentiel aussi, Madrid est devenue une cible prioritaire, surtout depuis l’insécurité politique à Barcelone. « Nous achetons ton immeuble. C’est rapide et en toute discrétion. » Ce genre d’annonce, suivie d’un numéro de téléphone et du nom du promoteur, fleurit en pleine page dans la presse quotidienne madrilène. Et la soif des fonds nord et latino-américains, européens et même espagnols commencent à faire flamber les prix. « Dans certains quartiers comme Salamanca, Chambéri ou Chueca, les prix sont plus élevés qu’en 2007, alors que le niveau de la reprise économique espagnole ne le justifie pas », estime Jorge Benjumeda, un promoteur indépendant barcelonais qui s’est installé aussi à Madrid depuis 2015. Selon lui, « il ne s’agit pas encore d’une bulle, mais il faut être vigilant ».
La crise a modifié la structure de ce marché immobilier. Traditionnellement propriétaire avant la crise, l’Espagnol découvre la location, voire la colocation pour les plus jeunes. Un choix par défaut, puisque les salaires n’ont pas retrouvé leur niveau d’avant, mais aussi parce que les mentalités changent. Le prix des loyers a augmenté de 11,5 % à Madrid en 2017, contre 6 % en moyenne en Espagne, en grande partie à cause d’une pression sur les appartements dits touristiques. Madrid se rapproche désormais de Barcelone avec plus de 20 000 logements de type Airbnb, contre 24 000 dans la cité catalane.
Restée longtemps figée – ou tout au moins ralentie – par la récession, Madrid sort donc de sa chrysalide et retrouve son goût traditionnel du développement par la pierre et le macadam. Mais avec prudence et modestie, loin de ce que les Espagnols appellent « la folie des années 2000 ». Elue par surprise en 2015 pour « rendre Madrid aux Madrilènes », l’équipe municipale dirigée par Manuela Carmena, une novice en politique de 74 ans soutenue par le parti de gauche Podemos, s’est d’abord évertuée à réduire la gigantesque dette de la ville, passée en trois ans de 7 à 3,5 milliards d’euros. Adepte de la démocratie participative, elle a fait se multiplier, quartier par quartier, une myriade de projets citoyens. « L’an dernier, 100 millions d’euros d’investissements ont été décidés par les habitants eux-mêmes », se réjouit Luis Cueto, coordinateur de la mairie et bras droit de Manuela Carmena.
Hypercentre, une zone zéro émission
Les projets d’urbanisme qui sortent de terre en 2018 sont teintés d’écologie et de social. L’hypercentre a été défini comme une zone zéro émission, limitée dès cet été à la circulation des bus, des taxis et des riverains. Le symbole de ce vaste périmètre restitué aux piétons et aux cyclistes est le chantier de Gran Vía, une large artère créée au début du XXe siècle et pompeusement surnommée le « Broadway madrilène ». Sur cet axe automobile essentiel, le projet, dont les travaux ont démarré au printemps, réduit le nombre de voies de six à quatre, tout en élargissant l’espace dédié aux trottoirs et aux vélos.
Le même souci environnemental, auquel s’ajoute une volonté de mixité sociale, accompagne le plan de réaménagement d’un quartier du sud de la ville, le long de la rivière Manzanares et autour de l’ancien stade Vicente-Calderón, abandonné l’an dernier par l’Atlético de Madrid. Mais c’est dans le nord de la ville, tout au long du Paseo de la Castellana, que bat et revit le cœur économique de Madrid. L’historique quartier d’affaires AZCA a commencé une cure de jouvence avec la rénovation d’immeubles vieillissants, notamment l’ancien palais des congrès, fermé en 2012, qui va accueillir le siège de l’Organisation mondiale du tourisme. De l’autre côté de l’avenue, la mairie a accepté le projet de rénovation du stade Santiago-Bernabéu où le Real Madrid prévoit l’ouverture de commerces, de restaurants et d’un hôtel.
Plus au nord encore, le pôle des Cuatro Torres a aussi retrouvé vie. Les quatre gratte-ciel, signés par des architectes prestigieux comme Ieoh Ming Pei et Norman Foster sur les anciens terrains d’entraînement du Real Madrid, ont été inaugurés en 2008 dans la perspective de devenir un nouveau quartier d’affaires vertical. Ils sont longtemps restés à moitié vides, dressés sur l’horizon comme des totems de la crise. Le business a réinvesti cette zone au bout de la Castellana, où des ouvriers s’activent aujourd’hui sur le chantier d’une cinquième tour. Haute de 180 mètres, elle abritera, sur 35 étages, le futur campus de l’IE Business School et les 6 000 élèves de ce qui deviendra l’IE University.
« Comme le musée du Prado et d’autres lieux culturels, cette cinquième tour, consacrée au savoir et au talent, participera à la compétitivité globale de la ville », promet l’urbaniste Flavio Tejada. Cependant, le projet le plus ambitieux concerne le plan Madrid Nuevo Norte, autour de la vieille gare Chamartín. Une idée déjà inscrite au plan général d’urbanisme de 1997, souvent relancée, toujours paralysée. Son dernier avatar datait de 2015 : un projet pharaonique, signé par l’ancienne municipalité, qui prévoyait six gratte-ciel, dont l’un aurait été le plus haut d’Europe avec ses 70 étages. Bloquée par la nouvelle municipalité en 2016, voilà que l’« opération Chamartín » est à nouveau à l’ordre du jour. « Nous voulons en faire la gare la plus moderne d’Europe, qui permettra une connexion du réseau haute vitesse jusqu’à l’aéroport, explique Luis Cueto. Mais au cœur d’un quartier qui ne sera pas artificiel, froid et coupé de la ville, comme la Défense à Paris, par exemple. »
La nouvelle mouture, négociée avec les promoteurs privés et le ministère de l’Equipement, contient certes un important centre d’affaires contigu à la gare, mais avec 20,5 % de surface constructible en moins et 37 % de logements sociaux sur les 11 000 appartements prévus. Le dynamisme entrepreneurial et l’innovation ne se limitent pas aux pôles d’affaires bien définis. L’esprit start-up, longtemps confiné à Barcelone, se répand aujourd’hui aux quatre coins de Madrid. Le long de la Castellana, bien sûr, où WeWork a ouvert, dans deux immeubles et sur plusieurs étages, des lieux de coworking où l’ambiance « cool dans ses baskets » n’empêche pas l’efficacité.
C’est là que Dimitri Seigneuray, directeur de la French Tech en Espagne, organise régulièrement des événements rencontres pour sa cinquantaine de membres et des start-up espagnoles. Chaque automne, Madrid accueille désormais le South Summit, un congrès international où plusieurs milliers de jeunes pousses se retrouvent sous les arches de La Nave, une friche industrielle réhabilitée et équipée par la mairie pour une plate-forme qui rappelle, toutes proportions gardées, la Station F, à Paris. Spaces Río ou Impact Hub sont d’autres adresses où les jeunes entrepreneurs peuvent faire leur nid. Mais le lieu le plus emblématique de l’effervescence start-up, à Madrid, est sans doute le Google Campus, installé depuis 2015 dans une ancienne usine. Campus Madrid est le second ouvert en Europe par le géant américain, après celui de Londres, preuve du potentiel que la nouvelle économie prête à la capitale espagnole.
En chiffres (2017)
• Population : 3,3 M d’habitants (6,5 M pour toute la Communauté).
• Superficie : 608 km2 (8 028 km2 pour toute la Communauté).
• Taux de croissance : 3,3 %.
• PIB : 220 M € (+ 3,4 % par rapport à 2016), soit 19 % du PIB du pays.
• PIB par habitant : 33 800 €, le meilleur du pays (25 000 € pour toute l’Espagne).
• Taux de chômage : 13,8 % (16,4 % pour toute l’Espagne).
• Nombre de touristes : 13 M.
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