The Good Business
Sachant que le pays assure désormais 30 % de la production automobile mondiale, il n’y a rien d’étonnant à ce que la Chine abrite quelques‑unes des plus belles pépites qui imaginent la voiture de demain…
Pour son premier flagship à Pékin, NIO, une start-up chinoise qui ambitionne de devenir le Tesla local, n’a rien laissé au hasard. Apparue fin 2014 à Shanghai, la jeune pousse est arrivée l’année dernière dans la capitale chinoise en inaugurant ce gigantesque espace de 3 000 m2, à quelques pas de la Cité interdite. A l’étage, les clients peuvent boire un café préparé dans les règles de l’art – un détail pas anodin au pays du thé – ou lire des magazines branchés. Au rez-de-chaussée, les deux bolides de la marque attirent les curieux. Et pour cause : NIO a mis au point la voiture électrique la plus rapide du monde, une bête féroce pouvant atteindre 200 km/h en seulement 7 secondes, ainsi qu’un SUV à 7 places, lui aussi électrique, mais deux fois moins cher que le Model X de Tesla.
« Plus qu’un constructeur automobile, nous sommes avant tout une entreprise lifestyle, assure Yang Lin, une Pékinoise en charge de la communication de NIO, tout en nous faisant visiter les locaux. Ce que nous faisons, personne ne l’a fait auparavant. Nous ne pouvons donc bénéficier d’aucun retour d’expérience ! » NIO détonne dans le paysage automobile. La start-up (6 000 employés et 19 bureaux à travers le monde) ne détient, par exemple, aucune usine en propre. Côté distribution, elle ne veut pas non plus entendre parler de concessionnaires, au risque de rester archiconfidentielle dans un pays qui produit 28 millions de véhicules par an, soit presque 30 % de la production mondiale ! Pour créer un lien direct avec ses clients, NIO compte plutôt s’appuyer sur ses 15 magasins vitrines, comme celui de Pékin, qu’elle compte ouvrir dans 13 villes à travers la Chine d’ici à la fin de l’année.
En tout cas, la start-up a les moyens de ses ambitions : elle pourrait lever 2 milliards de dollars lors de son entrée en Bourse aux Etats-Unis (prévue d’ici à l’automne, selon Bloomberg). NIO n’est pas un cas isolé sur le premier marché automobile de la planète. Plusieurs autres pépites chinoises (WM Motor, Xpeng Motors…) entendent bousculer l’industrie mondiale en mettant au point la voiture de demain. Un véhicule forcément électrique, connecté, biberonné à l’intelligence artificielle et à l’Internet des objets…
En janvier 2018, lors du Consumer Electronics Show (CES), à Las Vegas, le rendez-vous annuel de l’électronique et de la tech, une autre entreprise chinoise, Byton, a fait sensation en présentant un SUV électrique à 36 000 euros, avec un écran tactile de plus d’un mètre de long occupant tout le tableau de bord. Les rétroviseurs ont été remplacés par des caméras, les sièges avant pivotent, et l’éclairage s’adapte automatiquement en fonction de la luminosité extérieure. « Byton sera le véhicule le plus avancé sur le marché, quand il sortira en 2019 », s’est vanté le CEO, Carsten Breitfeld, un ingénieur mécanique qui a passé vingt ans chez BMW, dont dix comme vice-président, avant de fonder Byton en 2017, avec des capitaux chinois. La start-up, basée à Nankin, près de Shanghai, voit les choses en grand : une usine à 1,7 milliard de dollars, avec une capacité de 150 000 unités par an, doit en effet sortir de terre d’ici à la fin 2018.
Vers le tout-électrique ?
« La Chine imagine aujourd’hui des véhicules pour le consommateur de demain, explique Namrita Chow, analyste automobile au sein du cabinet IHS Markit. Il faut rester à la pointe de l’innovation. L’objectif numéro un, c’est de maintenir la demande à un certain niveau. » Car en matière de « nouvelles mobilités », la Chine a acquis une puissance de feu. Plusieurs champions chinois ont ringardisé la voiture ces dernières années. Didi Chuxing, le géant local du VTC, a, par exemple, réussi à chasser Uber de la deuxième économie mondiale. Pendant ce temps, grâce à Mobike et Ofo, les Chinois ont découvert les joies du vélo partagé, qu’on déverrouille en un clic pour le déposer n’importe où, une fois la course finie.
L’autre objectif est de mieux coller à des consommateurs qui utilisent déjà la reconnaissance faciale ou vocale dans leur vie courante et qui exigent donc qu’elle soit désormais disponible au volant. Par ailleurs, si la plupart des Chinois sont encore des primo- accédants, d’autres ont déjà commencé à acheter leur deuxième, voire leur troisième véhicule, ce qui oblige à monter en gamme. L’arrivée de ces start-up automobiles a surpris sur un marché encore largement dominé par des entreprises d’Etat, comme JAC, le constructeur avec lequel NIO s’est associé pour pouvoir assembler ses voitures.
Financées par les mastodontes chinois du web, dont Alibaba, Tencent ou Baidu, ces jeunes pousses bénéficient également des grands plans gouvernementaux en faveur de l’intelligence artificielle et des véhicules électriques. L’année dernière, la Chine a indiqué qu’elle souhaitait passer au tout-électrique, comme la France et le Royaume-Uni. Le pays est déjà le premier marché du monde pour les véhicules propres : en 2017, les ventes ont augmenté de 53 % pour atteindre 777 000 unités, soit presque 3 % du marché chinois, selon les chiffres officiels. « La Chine a tout l’écosystème. Les subventions à l’achat ont motivé les gens, les voitures électriques circulent, elles ne sont pas juste garées là », estime Alexious Lee, analyste automobile pour le cabinet CLSA à Hong Kong.
Une voiture volante
Les start-up sont loin d’être les seules à imaginer la voiture de demain. Les constructeurs étrangers déploient également des trésors d’imagination, tout comme leurs concurrents chinois. Fin 2017, Geely, le propriétaire de Volvo, a ainsi racheté Terrafugia, une entreprise américaine fondée en 2006 par cinq diplômés du MIT et qui a promis de mettre sur le marché la première voiture volante, en 2019. Deux mois plus tôt, Tencent, le champion chinois de la messagerie instantanée et des jeux vidéo, avait ouvert le bal en investissant 90 millions de dollars dans Lilium Aviation, une firme allemande connue pour son Eagle, un appareil à mi-chemin entre le drone et l’hélicoptère, capable de faire un Paris – Londres en une heure…
« Les start-up chinoises apportent davantage de technologie et peuvent prendre des décisions plus rapidement que les acteurs traditionnels. Elles vont bouleverser le marché automobile », pronostique Woo Hyungpyo, vice-président Asie du Product Planning (le département qui développe les véhicules à venir) chez Renault, à Pékin. A condition toutefois qu’elles continuent d’attirer les investisseurs et qu’elles gagnent rapidement en taille critique. Pour l’instant, NIO joue sur des volumes microscopiques : seuls 10 000 exemplaires de l’ES8, son 4×4 urbain, ont pu être précommandés avant son lancement commercial fin juin. Et seules six personnes – tous des investisseurs de NIO – ont pu acquérir l’EP9, sa supercar électrique à deux places qui, elle, ne peut rouler que sur des circuits de course !
« Il y a une bulle, bien sûr, avertit Namrita Chow. Toutes ces entreprises disent qu’elles vont être leader sur les véhicules électriques et connectés, qu’elles seront le prochain Tesla. Il y aura des perdants. » D’autant que la firme d’Elon Musk n’a pas dit son dernier mot. Le milliardaire de 47 ans s’apprête en effet à construire une usine en Chine. Et l’histoire de Faraday Future ou de Qoros montre que la Chine peut être bien difficile pour les nouveaux entrants. Fondée en 2007 grâce au magnat israélien Idan Ofer, la sino- européenne Qoros avait confié le design de ses futurs modèles au père de la Mini Cooper. Malgré ce coup d’éclat, Qoros n’a jamais décollé. Début 2018, la septième fortune d’Israël s’en est finalement débarrassé, au profit d’un conglomérat de Shenzhen.
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