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Antibiotiques, vitamines, hormones, OGM ou encore diesel bactérien, les possibilités offertes par les biotechnologies semblent sans limites. Si les Etats-Unis et le Japon s’imposent comme des acteurs historiques majeurs, l’Europe oeuvre aujourd’hui à occuper une place dans cette compétition financière et industrielle. Et l’Espagne compte bien participer à l’émergence de ce nouveau secteur industriel considéré comme messianique.
« Que vous évoque, a priori, une ville comme Grenade ou une région comme l’Andalousie ? Le soleil, la mer, la fête sont sans doute les premières choses qui viennent à l’esprit de n’importe qui. Et puis l’Alhambra, déclare Vito Epíscopo, secrétaire général d’OnGranada, cluster de technologie et de biotechnologie. Personne ne se doute un seul instant que le sud de l’Espagne puisse aussi être une région technologique, voire high-tech et industrielle. C’est l’une des premières difficultés à laquelle nous nous confrontons aujourd’hui. Et avant toute chose, nous devons réussir à convaincre l’Europe et le reste du monde de l’existence de cette réalité. »
Ces dernières années, et plus particulièrement depuis 2008, le secteur de la biotechnologie s’est développé et consolidé en Espagne grâce à une politique volontariste émanant aussi bien du gouvernement que d’acteurs privés. En effet, l’Espagne a choisi de fonder sa stratégie sur l’élaboration d’un vaste système d’innovation structuré par l’intermédiaire de biorégions et de bioclusters caractérisés par leurs capacités à conduire une recherche de pointe ainsi qu’à mener d’efficaces transferts de technologies aux entreprises et à la société.
De toutes les régions espagnoles, l’Andalousie affiche l’une des croissances les plus significatives enregistrées au cours des dix dernières années. Le nombre d’entreprises a augmenté et les processus d’internationalisation se sont développés avec, par exemple, l’implantation d’entreprises étrangères de référence comme Celgene – l’entreprise de biopharmaceutique américaine a choisi Séville en 2011 pour établir son premier centre de R&D en dehors des Etats-Unis.
Ce dynamisme régional est confirmé par les rapports annuels de l’Asebio, l’association espagnole des bio-industries créée en 1999 et dont la mission est de développer le projet biotechnologique au niveau national. Depuis 2009, c’est en Andalousie que le plus grand nombre d’entreprises de biotechnologie ont vu le jour. « On y recense aujourd’hui près de 2 000 entreprises qui fournissent un emploi direct à plus de 22 000 salariés », explique le secrétaire général d’OnGranada. L’attrait de cette biorégion s’explique par l’écosystème vertueux qui a réussi à se mettre en place.
Biotechnologie : un secteur en plein développement à Grenade
Créée en 2013, l’Asociación Granada Plaza Tecnológica (devenue OnGranada) se constitue très vite en pôle de compétitivité. « Tout a commencé il y a cinq ans, à Grenade, par une commission de travail dont la mission était d’évaluer le poids de l’industrie biotechnologique dans l’économie locale et régionale, raconte Vito Epíscopo. L’objectif était de démontrer la pertinence de la création d’un cluster de technologie et de biotechnologie au regard de la multitude et de la diversité des secteurs industriels concernés comme la médecine, l’agroalimentaire, etc. »
Aujourd’hui, OnGranada constitue le cluster technologique et biotechnologique le plus important d’Andalousie et d’Espagne. Il représente 622 entreprises au niveau andalou. « Nous représentons 45 % des entreprises technologiques et biotechnologiques d’Andalousie, soit 2 % du PIB andalou avec près de 2,4 milliards d’euros », poursuit Vito Epíscopo. Une initiative comme OnGranada témoigne du dynamisme et de la vitalité du secteur. « On recense plus de 300 entreprises ayant une activité de biotechnologie dans la seule ville de Grenade, explique-t-il. Pour moi, tout a commencé avec l’université de Grenade. Il s’agit de la première université technologique et biotechnologique d’Espagne. Elle figure également en bonne place dans les classements internationaux, et tout particulièrement pour son département recherche et son école d’ingénieurs en technologie et biotechnologie. Elle se trouve parmi les 20 premières dans le classement de Shanghai. Des ingénieurs hautement qualifiés sortent de cette université et représentent donc une opportunité intéressante pour le secteur. »
L’organisme regroupe un large spectre d’acteurs divers et variés ayant des activités liées à la biotechnologie de façon directe ou indirecte. Le but étant de créer et d’encourager les synergies collectives. « La biotechnologie en tant que telle est un secteur industriel en train de naître, explique Vito Epíscopo. En premier lieu, elle naît de la recherche et on observe de plus en plus de laboratoires privés qui s’installent à Grenade, attirés, entre autres, par l’environnement d’excellence universitaire. La réelle particularité de Grenade réside dans le fait que nous avons développé de réelles synergies entre la biotechnologie et les technologies de l’information (IT) et les technologies de l’information et de la communication (ICT). Nous encourageons un processus qui mêle la recherche, la production et la fabrication. En ce moment, nous travaillons sur l’ADN de certaines bactéries afin de permettre la création de médicaments et nous utilisons la technologie du big data et du cloud computing. »
La montée en puissance des biotechs
D’après l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE), la biotechnologie est « l’application de la science et de la technologie à des organismes vivants, de même qu’à ses composantes, produits et modélisations, pour modifier des matériaux vivants ou non vivants aux fins de la production de connaissances, de biens et de services ». Cependant, il n’existe pas de définition universelle de la biotechnologie. Le terme est inventé en 1919 par l’ingénieur hongrois Karl Ereky pour qualifier la technologie scientifique permettant de fabriquer des produits à partir d’organismes vivants. En réalité, on peut retracer l’usage des procédés biotechnologiques jusqu’à l’Antiquité, avec, notamment, la technique de la fermentation (production de vin, de pain, de fromage, etc.). La biotechnologie moderne naît pendant la Seconde Guerre mondiale, où des méthodes de fermentation sont appliquées à la production en masse de la pénicilline. La biotechnologie s’établit réellement comme science moderne dans les années 70, grâce aux progrès de la biologie moléculaire et du génie génétique, et en particulier la capacité à manipuler l’information génétique de l’ADN (acide désoxyribonucléique, dont la structure en double hélice avait été découverte en 1953 par Francis Crick et James Watson). Ainsi, ce qui existait de façon empirique jusqu’au xixe siècle est alors exploité de façon scientifique et dans une logique de rentabilité économique. Les stratégies biotechnologiques issues des progrès des sciences du vivant concernent une immense variété de secteurs industriels : la santé, l’industrie pharmaceutique, la chimie fine, l’agriculture, les industries agroalimentaires ou encore l’énergie.
Le marché biotechnologique possède un caractère horizontal et multidisciplinaire. On observe un système d’innovation biotechnologique qui se structure à partir de la coopération entre secteurs privés et publics. « Nous avons la particularité de compter dans notre directoire des acteurs privés ainsi que des acteurs publics, comme l’université de Grenade ou le maire de la ville, qui officie comme président d’honneur, explique le secrétaire général d’OnGranada. Nous nous sommes positionnés comme un cluster orienté business. Notre mission principale est de faire en sorte que nos entreprises puissent croître et prospérer. Nous cherchons donc des fonds, mais également des débouchés commerciaux. En ce sens, la stratégie de mêler biotechnologie et technologies appliquées nous fournit des solutions rapides et davantage adaptées aux contraintes du marché. Nous avons une branche qui est dédiée aux start-up qui naissent à Grenade et en Andalousie, mais nous aidons principalement des entreprises déjà établies et consolidées. Durant ces dernières années, nous avons permis à 22 entreprises étrangères de s’implanter à Grenade, et cela a engendré la création de plus de 3 500 postes. Nous avons également obtenu des contrats de travail de plusieurs millions d’euros pour les entreprises du cluster. »
A quelques kilomètres à peine se déploie le parc technologique de la science et de la santé de Grenade (PTS). Inauguré en 1997, il s’agit du premier campus dédié au domaine de la santé en Espagne. Le PTS a permis l’émergence d’un réseau dense, étendu et structuré dans le domaine de la recherche biomédicale regroupant des hôpitaux, des biobanques (d’ADN, de cellules souches, de tumeurs et de cordons ombilicaux), des fondations et des centres d’excellence, comme Cabimer (centre andalou de biologie moléculaire et de médecine régénérative), implanté à Séville, Bionand (centre andalou de nanomédecine et de biotechnologie), installé à Málaga ou encore la fondation Medina, située à Grenade, ainsi que des laboratoires publics – conformes aux normes BPF (bonnes pratiques de fabrication) – spécialisés dans la production de médicaments à base de cellules.
Cet environnement, où l’on trouve à la fois une recherche de pointe et des infrastructures adaptées, ainsi qu’une proximité avec les marchés, concourt à faire de l’Andalousie une région extrêmement compétitive.
Santé et agroalimentaire en demande
Dans le domaine de la santé, le gouvernement régional est à l’initiative de programmes de recherche dédiés aux thérapies avancées, comme la thérapie cellulaire, la médecine régénérative, la médecine génomique ou encore la nanomédecine. « Le secteur de la santé est celui où il y a le plus de demande en ce moment, explique Vito Epíscopo. Mais le domaine de l’agroalimentaire est également en croissance. Nous travaillons, par exemple, sur les cultures intensives où nous réussissons à obtenir d’importants pourcentages de rendements pour des aliments cultivés dans des terreaux qui n’étaient pas prévus pour eux. Nous avons également une entreprise installée sur la côte près de Grenade qui travaille sur la création de légumes à la croissance optimisée et de meilleure qualité. Cette technologie, qui consiste à contrôler l’agriculture par l’informatique, est principalement développée pour les pays désertiques. Les légumes poussent très vite malgré les conditions extrêmes. En Andalousie, nous réussissons à avoir deux ou trois récoltes de concombres, de tomates, de piments, etc. la même année. Nous avons également une équipe qui travaille sur les aliments fonctionnels dans le but d’avoir des productions de meilleure qualité et aux nutriments optimisés. »
Ainsi la biotechnologie espagnole est-elle particulièrement compétitive dans des secteurs tels que la santé humaine et animale, le secteur agroalimentaire et le secteur environnemental. La domestication de la cellule vivante cristallise de multiples et complexes enjeux qui sont loin de se limiter aux seuls progrès scientifiques ou aux opportunités industrielles.
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