The Good Business
Selon Antonio Calce, le monde horloger doit absolument changer de curseur. CEO de Girard - Perregaux depuis trois ans, il reste malgré tout très confiant en l’avenir de son secteur, et revient pour The Good Life sur la stratégie de sa très belle marque, propriété du groupe Kering, avec un franc-parler inhabituel dans ce monde où l’on préfère le silence et où l’on pratique souvent la langue de bois.
The Good Life : En tant que CEO de Girard – Perregaux, quel est votre regard sur l’horlogerie aujourd’hui ?
Antonio Calce : Notre secteur ne va pas si mal. En tout cas, il n’a pas besoin d’être sauvé. L’horlogerie fait face à de nouveaux challenges et doit faire évoluer son business-modèle. N’oublions pas que la branche a connu un extraordinaire développement jusqu’en 2012. Nous avons connu plusieurs années de progression à deux chiffres. Depuis cinq ans, nous sommes passés dans une période plus instable et volatile. Le monde a enduré de graves secousses macroéconomiques : effondrement du prix du pétrole et du rouble, promulgation de lois anticorruption en Chine… Tout cela a ralenti le business horloger et a déstabilisé le commerce des montres dans les grandes capitales.
TGL : Y a-t-il d’autres raisons à ce ralentissement ?
A. C. : Certainement. Le secteur ne s’est pas adapté aux nouvelles attentes de la clientèle. L’horlogerie a vécu un peu en recluse. Les politiques de communication des marques se révèlent désormais beaucoup moins en phase avec notre époque. Il y a encore cinq ans, l’image d’une marque et son histoire suffisaient à enthousiasmer les acheteurs et à faire vendre des montres. On capitalisait sur les réalisations du passé, sur le savoir-faire des manufactures et notamment nos métiers d’arts. Nous insistions aussi sur la capacité qu’avaient les manufactures à fabriquer leurs pièces in house. Cet axe-là était suffisant à l’époque pour rayonner auprès, notamment, de la clientèle âgée de plus de 50 ans. Aujourd’hui, le poids des années n’est plus suffisant pour intéresser la jeune génération.
Indispensable haute horlogerie
Girard-Perregaux s’est repositionnée depuis peu. La marque a élargi le spectre de sa gamme en prenant pied récemment sur le segment des montres à moins de 10 000 €. La manufacture reste malgré tout bien implantée sur le secteur de la haute horlogerie. « Nous produisons une centaine de garde-temps de ce type par an, aux finitions réalisées artisanalement. Les prix sont compris entre 200 000 et 400 000 €, explique le CEO. Pour nous, cette offre est très importante. Elle soutient notre image de marque », ajoute le responsable. L’horloger modernise ce secteur, en y apportant plus de technique. Ainsi, le titane y a fait son entrée. In fine, le produit se fait beaucoup plus désirable.
« Le pilier haute horlogerie est très important pour Girard – Perregaux »
TGL : Quelle stratégie comptez-vous mettre en place ?
A. C. : Nous devons nous adapter à notre période. Une marque comme la nôtre a repensé son processus dans toute la chaîne des valeurs pour pouvoir poursuivre son développement. Chez Girard – Perregaux, nous nous attelons à la tâche. Il y a cinq ans, je n’étais pas persuadé qu’il était indispensable qu’un horloger plusieurs fois centenaire devait se déployer de façon considérable sur le digital (vente/communication) et sur les réseaux sociaux. A présent, il est primordial de l’exploiter aussi bien sur la vente que sur la communication. Aujourd’hui, braquer les projecteurs sur le contenu horloger ne suffit plus. Tout le cycle de création du produit doit être revu. Il est primordial d’apporter plus de créativité aux montres, plus de design. Nous devons également effectuer plus de lancements de nouveautés durant l’année. Les cycles des renouvellements sont plus courts. A l’heure actuelle, la clientèle est de plus en plus habituée aux lancements rapides de nouvelles collections, comme dans la mode notamment. Elle s’attend à plus de nouveautés, plus régulièrement. Enfin, les produits lancés doivent être disponibles immédiatement après leur présentation.
En dates
• 1791 : tout commence avec les premières créations signées Jean-François Bautte, horloger-joaillier à Genève.
• 1854 : mariage des horlogers Constant Girard et Marie Perregaux, l’une des rares femmes de la haute horlogerie.
• 1856 : ils fondent la firme Girard-Perregaux.
• 1889 : lancement du mythique modèle Tourbillon sous trois ponts d’or.
• 1890 : Girard-Perregaux est parmi les premiers à s’implanter au Japon, aux Etats-Unis ou en Amérique du Sud.
• 1906 : le fils, Constant Girard-Gallet, prend la tête de l’entreprise familiale et rachète l’entreprise créée par Jean-François Bautte, d’où le 1791 qui apparaît aujourd’hui sur toutes les montres signées Girard-Perregaux.
• 1957 : le modèle Gyromatic est doté d’un système de remontage automatique ultraplat.
• 1975 : présentation de la Laureato, montre sportive iconique.
• 2004 : lancement de la Cat’s Eye, un modèle destiné aux femmes.
• 2011 : la marque est rachetée par le groupe de luxe Kering.
• 2015 : Antonio Calce devient CEO.
TGL : Comment cela se traduit-il concrètement dans vos collections ?
A. C. : Sur le plan produit, nous avons commencé à clarifier notre offre il y a trois ans avec une stratégie produits claire et pertinente. En développant un nouveau segment de prix sur notre collection 1966, en construisant une famille de produits dans la collection Bridges, signature de Girard -Perregaux, et en continuant de développer notre ligne exclusivement féminine, la Cat’s Eye. Enfin, nous avons modernisé notre icône, la Laureato, sans pour autant renier son design originel né dans les années 70. Cette collection a maintenant un prix d’entrée de gamme en dessous des 10 000 euros. Dans la famille Laureato, nous avons aussi intégré de nouveaux matériaux, notamment la céramique. Et l’acier 904L a été introduit dans la ligne Laureato Chronographe. Ce produit prend une place considérable dans la stratégie de Girard – Perregaux. Sans oublier de mentionner, bien sûr, le pilier haute horlogerie, qui est très important pour Girard -Perregaux, avec une centaine de pièces produites par année. Nous sommes dans des finitions exceptionnelles, souvent des pièces uniques, une offre très rare. Il est important que la montre soit désirable et qu’elle ait une forte valeur perçue.
TGL : Pour conclure…
A. C. : En matière de communication, il est important de faire vivre des expériences à nos clients. Certainement que nos visuels publicitaires méritent d’évoluer, ils sont un peu trop statiques. Et comme je le disais précédemment, il faut se réinventer continuellement pour faire rêver nos clients. La tâche promet d’être passionnante.
L’heure des femmes a sonné
Marie Perregaux fonde avec son mari, au milieu du XIXe siècle, Girard-Perregaux. C’est l’une des rares femmes de la haute horlogerie. Avec pareille ambassadrice, il n’y a rien d’étonnant à ce que cette manufacture soit très investie sur le secteur des montres pour femme. Cela fait des lustres que la marque a investi le secteur. Selon notre estimation, chez Girard-Perregaux, la part réalisée par les montres femme dépasserait les 20 %. Pas négligeable ! La firme est persuadée que ce marché est appelé à se développer et a mis en place une offre importante. Ainsi, toutes les collections, de la Laureato, modèle sportif, à la 1966, plus classique, se déclinent en une variante pour femme. La gamme comprend aussi la Cat’s Eye, montre-bijou lancée il y a dix ans. Ces produits féminins sont développés spécifiquement pour les dames et non pas juste féminisés, comme c’était souvent le cas par le passé. Cette catégorie demande une animation régulière. Les femmes sont habituées au rythme de la mode. Ce domaine propose de nombreuses collections capsules qui s’ajoutent aux deux grandes collections annuelles. Enfin, en catégorie haute joaillerie, la gamme accueille aussi des montres joaillières pour des clientes très aisées. « Je pense que le potentiel de cette catégorie est très important, chez nous comme ailleurs », se félicite Antonio Calce, le CEO. La gamme va accueillir sous peu une collection spécifiquement féminine. « Il s’agit d’une montre extraplate qui ne cannibalisera pas l’offre actuelle », précise-t-il encore.