Horlogerie
Entre leur présence stylistique ultragraphique, leur polychromie ludique et l’engouement médiatique qu’elles ont suscité, la plupart des pièces labellisées Memphis sont instantanément identifiables, même plus de trente ans après leur création. Voici les incontournables.
Les douze incontournables du mouvement Memphis
1. Carlton, Ettore Sottsass (1981). Totem postmoderne, la bibliothèque séparateur d’espace Carlton est sans aucun doute la pièce la plus emblématique de Memphis. Cette création surmédiatisée de Sottsass illustre au premier coup d’œil l’importance de la polychromie, souvent grinçante, et le ludisme des silhouettes intensément graphiques qui inspirent tant, aujourd’hui, les designers des générations Y et Z. Sans oublier, évidemment, l’utilisation du matériau Surface, cheap et caractéristique de la plupart des meubles de Memphis : le stratifié d’Abet Laminati. Mais c’est surtout avec son équilibre improbable, façon construction enfantine, faisant peu de cas de la stabilité des livres qui seraient posés dessus que Carlton incarne deux des postulats du mouvement : la primauté de l’émotionnel sur le fonctionnel, et l’humour. Car comme le soulignait Sottsass himself : « Quoi qu’il en soit, tous les livres finissent toujours par tomber. »
2. Casablanca, Ettore Sottsass (1981). Aucun lien avec le mythique film de Michael Curtiz mettant en scène le bel Humprey Bogart… Cette deuxième bibliothèque culte d’Ettore Sottsass met à l’honneur, toujours sur du stratifié, le motif Bacterio, qu’il avait dessiné en 1979, et tire, dans la plus pure tradition de branding Memphis suggérée par Barbara Radice (la seconde femme d’Ettore Sottsass, qui a écrit tous les textes manifestes du mouvement), son nom du Casablanca, l’un des hôtels Art déco de Miami Beach qui n’avait pas encore été lifté à l’aube des années 80.
3. Tawaraya, Umeda Masanori (1981). Particularité de la première collection Memphis : tous les meubles portaient le nom d’un hôtel de luxe, comme pour mieux souligner avec humour combien la citation, twistée naturellement, était essentielle aux yeux du collectif. Tawaraya, lit-manifeste d’Umeda Masanori sur lequel fut prise la célèbre photo qui fit office de bulletin de naissance du collectif, ne déroge pas à cette règle. Il fait en effet référence au ryokan le plus ancien de Kyoto, fréquenté notamment par des hôtes de marque comme Alfred Hitchcock ou Saul Bellow. Authentique collage Orient/ Occident, Tawaraya, qui ressemble à s’y méprendre un montage qui aurait été réalisé sur Photoshop avant l’heure, assemble des tatamis entourés par des tubes colorés, inspirés des cordes que l’on trouve sur les rings de boxe, et est muni de lampes orientables dans les quatre coins. On ne sera pas surpris d’apprendre que Karl Lagerfeld l’avait installé dans son appartement monégasque.
4. Super, Martine Bedin (1981). Super est l’un des deux best-sellers de Memphis, avec la chaise First, de Michele De Lucchi. Imaginée par Martine Bedin, bordelaise (tout comme Nathalie Du Pasquier) et cofondatrice historique de Memphis, cette lampe que l’on peut traîner derrière soi comme un chien sur roulettes d’enfant fait l’éloge de l’insouciance et réaffirme, au passage, l’un des credo du collectif : l’émotionnel est le nouveau fonctionnel.
5. Tahiti, Ettore Sottsass (1981). Assemblage de formes géométriques primaires joyeusement multicolores sur un socle imprimé du fameux motif Bacterio, décliné ici en noir et blanc graphique, la lampe Tahiti semble démontrer, avec sa silhouette de canard pixellisé ou, au choix, d’oiseau tropical (d’où, peut-être, son nom ?) que « zoomorphique » peut parfaitement rimer avec « électrique ».
6. First, Michele De Lucchi (1983). Etait-ce parce que la troisième collection de Memphis souhaitait séduire un public plus large ? Quel qu’en soit le motif, la chaise First, de Michele De Lucchi, a immédiatement été propulsée au rang de best-seller. Suprêmement graphique, aussi bien dans ses harmonies de couleurs 80’s que dans son tracé – un cercle en tube d’acier verni gris servant de structure porteuse à la fois pour les accoudoirs et pour le dossier, ce dernier étant agrémenté d’un disque pivotant en bois laqué bleu –, son look est assurément très Memphis, mais plus sobre, pour ne pas dire plus classique.
7. Metropole, George Sowden (1982). Designer et architecte anglais installé à Milan depuis les années 70, George Sowden a d’abord collaboré avec Ettore Sottsass chez Olivetti avant de se plonger dans l’aventure Memphis. La série Objets pour un âge électronique, développée avec Nathalie Du Pasquier (qui est, aujourd’hui encore, sa compagne), reste une riche exploration du design, tant stylistique que prospective. George Sowden, qui affirmait volontiers que « la décoration sera au design électronique ce que la fonction est au design mécanique », a certainement voulu commencer à donner corps à ses propos en dessinant son horloge Metropole, sage et presque néoclassique dans ses proportions, mais affichant une combinaison de motifs, inhabituels pour cette typologie de produits. Comme le soulignait avec justesse le catalogue de l’exposition Postmodernism, Style and Subversion 1970-1980, du Victoria and Albert Museum, à Londres, « le postmodernisme est un phénomène prédigital, mais qui l’annonce, notamment avec le collage et la citation ».
8. Bel Air, Peter Shire (1984). Designer et céramiste basé à Echo Park (Los Angeles), Peter Shire est connu pour ses théières qui font figure de microarchitectures postmodernes. Cet électron libre californien est également l’un des deux seuls américains, avec Michael Graves, à avoir fait partie de l’aventure Memphis. Avec son dossier asymétrique, découpé façon aileron de requin, et ses harmonies color-block, son fauteuil Bel Air (également inspiré par la Stevens House construite sur la plage de Malibu par l’architecte John Lautner) était tellement représentatif de Memphis qu’il a figuré en couverture du livre le plus distribué sur le mouvement, signé par Barbara Radice.
9. Oceanic, Michele De Lucchi (1981). Avant de dessiner, six ans plus tard, pour Artemide (dont le patron, Ernesto Gismondi, a soutenu Memphis dès le début), le best-seller absolu sur le marché du luminaire qu’est la lampe articulée Tolomeo – qui vient de fêter ses 30 ans avec une édition dorée –, le jeune Michele De Lucchi en a esquissé une pour le collectif fondé par son ami Ettore Sottsass. Une version infiniment plus colorée et ludique, défiant, elle aussi, avec brio, les règles de l’équilibre : la mythique Oceanic.
10. Kyoto, Shiro Kuramata (1983). Les jeunes designers, qui puisent aujourd’hui leur inspiration dans la créativité désinhibée des années Memphis, se focalisent souvent sur des matériaux plus nobles que le stratifié – marbre, laiton ou verre –, mais ils restent séduits par le vaste potentiel graphique et chromatique du terrazzo, matériau star de la petite table d’appoint Kyoto, signée Shiro Kuramata.
11. Plaza, Michael Graves (1981). Les premières manifestations du postmodernisme ont souvent eu lieu en architecture, comme en attestent le manifeste Learning from Las Vegas, de Robert Venturi et Denise Scott Brown, ainsi que les réalisations signées par Hans Hollein ou Michael Graves. Il n’est donc pas étonnant que ces deux architectes aient été invités à rejoindre le collectif à géométrie variable qu’était Memphis. La composition de la coiffeuse Plaza, que Michael Graves avait dessinée pour la collection inaugurale de 1981, offre, d’ailleurs, de nombreuses similitudes avec la silhouette de la Humana Tower de Louisville (Kentucky) ou avec l’immeuble des services municipaux de Portland (Oregon), qu’il construisait au même moment. Toutefois, sa création design la plus connue du public reste la bouilloire 9093, à bec siffleur d’oiseau, conçue pour Alessi en 1986.
12. Ashoka, Ettore Sottsass (1981). Memphis aura mis en lumière les années 80, au sens propre comme au figuré, avec plusieurs lampes iconiques signées par les membres du collectif. Elles sont d’ailleurs toujours éditées aujourd’hui par Memphis Milano. C’est presque un euphémisme de dire qu’Ettore Sottsass s’est particulièrement distingué dans cet exercice. Sa lampe de bureau Ashoka reprend principalement la forme totémique de l’étagère Carlton et, par un jeu d’adaptation d’échelle et de matériaux, la transpose en luminaire. Le nom, qui fait référence à un ancien empereur indien, rappelle combien Sottsass avait été marqué par le voyage qu’il avait fait à New Delhi, au début des années 60.