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Memphis, le revival : les années 80 en boomerang
Memphis, le revival : les années 80 en boomerang
veronica

The Good Business

Memphis, le revival : les années 80 en boomerang

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Les expositions internationales célébrant le centenaire de la naissance d’Ettore Sottsass et l’impact du design radical se multiplient depuis l’an dernier. The Good Life a choisi de zoomer sur le mouvement Memphis (1981-1988), dont Sottsass a été à la fois l’initiateur et la figure de proue.

Séisme design éminemment photogénique, laboratoire intello-ludique et mouvement de rupture postmoderne parfaitement médiatisé, Memphis a été fondé à Milan au début des années 80 à l’initiative d’Ettore Sottsass. Sept ans plus tard, le groupe, qui n’avait jamais été pensé pour durer, était dissous – Sottsass l’avait pour sa part quitté dès 1985 – et l’on pourrait presque avancer, au regard du talent certain du collectif pour la communication, que ce parti pris d’éphémère préfigurait l’ère des « stories » à durée de vie limitée de Snapchat ou d’Instagram. Flash-back. Le nom initialement choisi aurait dû être « New International Style », mais c’est la diffusion à la radio d’une chanson de Bob Dylan (Stuck Inside of Mobile with the Memphis Blues Again) lors d’une soirée de décembre 1980, où la plupart des designers historiques du collectif étaient réunis autour d’Ettore Sottsass et de Barbara Radice, qui en a décidé autrement.

Hommage de l’installation Kartell goes Sottsass, avec des pièces au motif bacterio et un clin d’oeil au fauteuil Bel Air de Peter Shire.
Hommage de l’installation Kartell goes Sottsass, avec des pièces au motif bacterio et un clin d’oeil au fauteuil Bel Air de Peter Shire. DR

Le 18 septembre 1981, Memphis a donc fait une entrée en scène fracassante en présentant à la galerie Arc 74, en off du Salon du Meuble (qui se déroulait alors en ville, et à l’automne), une exposition de meubles et d’objets multicolores, fun et flirtant avec le mauvais goût : 57 prototypes passant pour de vrais ovnis stylistiques et contrastant avec l’habituelle production industrielle élégante de la Brianza. Ce qui, précisons-le tout de suite, n’a pas empêché Memphis de bénéficier d’emblée du soutien d’Ernesto Gismondi, président d’Artemide, qui a beaucoup contribué à la distribution des pièces créées. Ou encore de celui de la société de stratifié Abet Laminati, l’un des principaux sponsors. Memphis n’est certes pas apparu ex nihilo dans l’histoire de la discipline, et la filiation avec les mouvements de design radicaux (Archigram, en Angleterre ; Archizoom, Superstudio ou Alchimia, en Italie) des années 60 et 70 est indéniable. En accordant plus d’importance à la surface et au décor qu’au matériau, et en insistant sur la primauté du visuel et de l’émotionnel sur le fonctionnel, Memphis, qui avait tout compris du rôle de l’image et des médias, aurait même sans doute connu un succès encore plus fulgurant si les réseaux sociaux avaient existé à l’époque. Avec ses couleurs vives et ses formes géométriques simples et ludiques au croisement de l’Art déco, du modernisme 50’s et du pop art et son usage intensif du stratifié, matériau de prime abord cheap, voire kitsch, Memphis s’inscrivait avant tout aussi dans la culture esthétique et populaire de « l’entrepôt décoré », théorisé par les architectes américains Denise Scott Brown et Robert Venturi dans leur essai Learning from Las Vegas, publié en 1972.

Carlton, Ettore Sottsass (1981) et Bel Air, Peter Shire (1984).
Carlton, Ettore Sottsass (1981) et Bel Air, Peter Shire (1984). DR

Résultat ? Dès 1982, Karl Lagerfeld, réputé pour son flair Zeitgeist, commissionnait Ettore Sottsass pour décorer son appartement monégasque en 100 % Memphis, avant de revendre toutes les pièces aux enchères chez Sotheby’s, en 1991. De quoi renforcer la légende de la comète Memphis. Et donner un coup d’accélérateur au marché, même si, selon la volonté affichée du collectif, aucune pièce des séries limitées ne devait être numérotée pour ne pas renforcer le fétichisme des objets de la société de consommation. Soulignons que, selon le catalogue Postmodernism, Style and Subversion 1970-1990 de l’exposition du Victoria & Albert Museum, « dans l’esprit de Sottsass, Memphis était un laboratoire fun, et non pas une machine commerciale. (…) Moins de cinquante exemplaires de Carlton [l’étagère d’Ettore Sottsass], de Bel Air [le fauteuil de Peter Shire] ou de Plaza [la commode de Michael Graves, NDLR] se sont vendus dans la décennie. » Constance Rubini, directrice du musée des Arts décoratifs et du Design de Bordeaux, tempère : « Cinquante exemplaires dans les années 80, ce n’est pas rien ! » Et précise, au passage, que « la lampe Super, de Martine Bedin, et la chaise First, de Michele De Lucchi, ont tout de suite été des best-sellers ». Une certitude : pendant sa courte existence en tant que collectif, Memphis a surtout représenté un incroyable succès en termes d’image, et son aire d’influence iconographique se lit aussi bien dans la production graphique et publicitaire de l’époque que dans le revival, façon hommage muséal ou marketing, plus opportuniste, qui bat son plein depuis 2015.


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