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Situé sur une île artificielle à l’ouest de Séoul, le principal hub de la Corée du Sud connaît une ascension fulgurante depuis son inauguration, en 2001. En une dizaine d’années à peine, l’aéroport international d’Incheon s’est hissé à la tête des classements récompensant les meilleurs aéroports du monde. Et il ne compte pas s’arrêter là.
En 2017, selon les estimations des autorités, l’aéroport international d’Incheon aura accueilli 58,1 millions de passagers – ils étaient déjà 53,7 millions au 5 décembre –, excédant ainsi de 4 millions les capacités actuelles de l’aéroport. Parmi les 20 premiers du palmarès mondial des aéroports les plus fréquentés, il fait partie de ceux qui enregistrent l’une des croissances les plus fortes. « En dépit de circonstances externes défavorables, comme l’épidémie de MERS-coronavirus ou la crise économique, nous venons d’effectuer notre meilleure performance depuis la création de l’aéroport, déclare Il-young Chung, président et CEO d’Incheon International Airport Corporation (IIAC), société gestionnaire de l’aéroport. Nous avons une croissance de plus de 8 % par an en termes de fréquentation, et en 2015, pour la première fois, le nombre de mouvements aériens (atterrissages et décollages) a dépassé la barre des 300 000. Tout cela nous conforte dans notre ambition de devenir un hub incontournable pour l’Asie du Nord-Est. »
En deux décennies à peine, l’aéroport international d’Incheon a réussi à se bâtir une solide réputation pour la qualité des services délivrés et à s’imposer en tant que centre névralgique d’une région en pleine expansion. Hub des deux principaux transporteurs coréens, Asiana Airlines et Korean Air, il concentre à lui seul la majorité du trafic international de passagers et du fret de la Corée du Sud. Sa prodigieuse ascension est symptomatique de l’histoire d’un pays dont le PIB par habitant était parmi les plus faibles du monde dans les années 60 et qui, en 2016, occupe la onzième place au classement des plus grandes puissances économiques mondiales.
Incheon : la course à la démesure
A l’issue des jeux Olympiques de Séoul, en 1988, et à mesure que le pays s’insère dans l’économie mondiale, le trafic aérien en Corée du Sud augmente. L’aéroport international de Gimpo, au bord de la saturation, ne possède pas les capacités nécessaires pour faire face à cette croissance. L’Etat décide alors de construire un nouvel aéroport international. Il y voit l’occasion d’asseoir ses ambitions en se dotant d’un hub moderne flambant neuf, à l’image du géant économique qu’il compte devenir. Incheon International Airport Corporation est alors créé en 1991 afin d’en assurer exclusivement la gestion, sous la tutelle du ministère des Transports et des Infrastructures. D’ambitieux chantiers débutent ; la décision est en effet prise d’ériger le futur aéroport sur un terrain conquis sur la mer pour l’occasion, reliant les îles de Yeongjong et Yongyu, au large de la ville d’Incheon.
Afin d’anticiper au mieux la croissance du trafic aérien, IIAC met en place un plan d’aménagement et d’expansion de l’aéroport s’articulant autour de trois phases distinctes. Les deux premières ont été achevées en 2001, avec l’inauguration, en mars 2001, de l’aéroport international d’Incheon, et en 2008, avec l’ajout de terminaux de fret et de halls pour les passagers ou encore de pistes capables de supporter les mouvements des gros-porteurs. Avec son ensemble de mégastructures, l’aéroport international d’Incheon est un pur produit de l’ère contemporaine, qui a érigé le « hub and spoke » (centre et rayon) en modèle absolu et tout puissant.
Concept qui a fini par métamorphoser fondamentalement le secteur aérien mondial en imposant de nouvelles règles et pratiques. En effet, l’aéroport international d’Incheon est directement issu de cette génération de plates-formes aéroportuaires engendrées par la dérégulation du transport aérien lancée aux Etats-Unis dans les années 80. Dans un souci de diminution des coûts et de rationalisation des flottes, les compagnies aériennes réduisent le nombre de lignes directes au profit de vols avec correspondances, celles-ci étant réalisées avec des avions plus modestes. Ce qui leur permet, dans la foulée, d’opérer plus de lignes et d’augmenter la fréquence des vols. Les installations aéroportuaires se complexifient pour jouer le rôle de pivot et continuer d’assurer leurs missions essentielles : garantir les infrastructures nécessaires aux transporteurs aériens et gérer l’interface avec les autres modes de transport. En parallèle, les activités économiques se diversifient et la course à la démesure est lancée.
Chronologie
• 1992 : le projet de construction d’un nouvel aéroport est confirmé et la phase 1 de construction et de préparation du site débute.
• Mars 2001 : inauguration de l’aéroport.
• 2002 à 2008: phase 2 de construction : ajout de terminaux de fret et de halls pour les passagers, ainsi que de pistes pour les gros-porteurs.
• Mars 2006 : inauguration de la zone franche de l’aéroport.
• Février 2009 : IIAC remporte son premier projet international avec le nouvel
aéroport international d’Erbil, en Irak.
• Septembre 2013 : début de la phase 3 avec la construction d’un second
terminal.
• Août 2014 : plus de 400 millions de passagers ont fréquenté l’aéroport
depuis le début de l’exploitation.
• Juin 2015 : IIAC remporte un contrat de consultation et d’exploitation opérationnelle pour le nouvel aéroport d’Istanbul.
• Août 2015 : un autre contrat de consultation et d’exploitation commerciale est conclu, celui de l’aéroport international de Jakarta.
• 18 janvier 2018 : ouverture prévue du second terminal, deux des trois zones de développement d’Air City terminées.
• 2020 : fin des aménagements d’Air City.
• 2025 : fin prévue de la phase 3 de développement de l’aéroport.
En effet, la concurrence entre hubs de première classe est âpre, attisée par la flopée de classements internationaux qui font la pluie et le beau temps et la pléthore de catégories, imaginées au fur et à mesure pour les départager. Aéroports les plus propres, les plus calmes, les plus confortables pour dormir, les mieux dotés en boutiques ou en restaurants, etc. Celui d’Incheon possède bien évidemment tous les attributs classiques.
Et pour être sûr de continuer d’émerveiller et de divertir le passager, on met un point d’honneur à décliner les avatars de la consommation sous toutes les formes possibles et imaginables. Mentionnons ainsi la patinoire, les salles de cinéma, les spas, les jardins exotiques ou encore le casino. Sans parler du musée de la Culture coréenne, des concerts ou des parades. Pour des escales de une à cinq heures, des visites guidées touristiques de Séoul sont également proposées, tout comme des visites guidées médicales, avec au programme un examen de routine, de la médecine traditionnelle orientale ou encore de la chirurgie esthétique.
C’est ainsi que l’aéroport international d’Incheon remporte depuis douze années consécutives le prix annuel de l’Airport Service Quality décerné par le Conseil international des aéroports. La reconnaissance de ses pairs permet également à IIAC d’exporter ses compétences à l’étranger avec la signature de juteux contrats avec la Birmanie, l’Indonésie ou encore la Turquie. « Nous souhaitons évidemment maintenir l’aéroport international d’Incheon parmi les meilleurs en matière de services et continuer à perfectionner nos systèmes et nos infrastructures pour garantir des vols sans accident tout en garantissant des opérations en continu, déclare Il-young Chung. Mais nous visons également d’autres objectifs à moyen terme, comme celui de nous classer dans le top 5 pour le transport de passagers et dans le top 10 des aéroports de transit. Sur le long terme, nous comptons atteindre la barre des 100 millions de passagers annuels d’ici à 2030. » En 2016, les compagnies aériennes de la région Asie-Pacifique se sont trouvées à la tête de la croissance du trafic aérien mondial avec environ 11 % de plus par rapport à 2015. Elles ont transporté 1,3 milliard de passagers (contre 992 millions pour les compagnies européennes).
L’Asie cumule alors 35 % du trafic aérien mondial en part de marché. De quoi nourrir les plus grandes ambitions. Depuis 2013, la troisième phase de travaux d’aménagement a commencé avec, entre autres, la construction d’un second terminal, dont l’ouverture a eu lieu le 18 janvier, à temps pour les jeux Olympiques d’hiver de Pyeongchang. D’autres infrastructures sont également prévues, notamment une tour de contrôle, une expansion du terminal de fret, un centre de transport, etc. L’investissement total pour cette phase, qui devrait s’achever d’ici à 2025, est de 3,7 milliards d’euros.
La capacité totale s’élèvera alors à 72 millions de passagers par an et 5,8 millions de tonnes de fret. IIAC s’est également lancé dans un vaste projet d’intégration de l’aéroport dans l’environnement urbain en capitalisant sur le territoire alentour. Air City fait ainsi office d’extension organique de l’aéroport et s’articule autour de trois zones de développement : l’extension d’IBC-I (International Business Center) et la construction d’IBC-II et IBC III. Des hôtels et des résidences de luxe, des parcs d’attractions, un aquarium, des centres de convention, etc., figurent au programme. Une fois Air City achevée, en 2020, IIAC estime pouvoir attirer environ 2,9 millions de touristes étrangers.
En chiffres
• 19e aéroport mondial en termes de nombre de passagers.
• 3e aéroport asiatique pour le fret international.
• 1er aéroport du Nord-Est asiatique pour le nombre de passagers en transit.
• 186 villes desservies.
• 40 000 employés.
• 90 compagnies aériennes en service.
• 49 millions de passagers en 2016 pour une capacité annuelle de 54 millions.
• 2,5 millions de tonnes de fret en 2016 pour une capacité annuelle de 4,5 millions.
• 7,4 millions de passagers en transit en 2016.
• 7 400 manifestations culturelles par an.
L’aéroport, un univers modelable à l’envi
Avec l’aéroport international d’Incheon, on assiste à une étrange mutation de l’entité aéroportuaire. De maillon de l’archipel mégalopolitain mondial, il semble aspirer à devenir une destination en soi. Alors que la mobilité aérienne est exaltée à tout-va, c’est plutôt l’immobilité des passagers qui semble paradoxalement stimulée. Consacré traditionnellement comme la porte d’entrée physique et symbolique d’un territoire, l’aéroport donne à voir un monde urbain savamment mis en scène, optimisé et capitalisé.
Un univers modelable à l’envi pour un public trié sur le volet, car si la massification du transport aérien est effective, la démocratisation se révèle, quant à elle, une réalité plus discutable. En cela, l’aéroport constitue bien un miroir exacerbé de nos sociétés, entre frénésie de consommation, mirage de l’expérience unique et obsession d’une technologie ubiquitaire. L’aéroport international d’Incheon ne fait ainsi pas exception.