Horlogerie
Décrit dans un rapport de la CIA, imaginé dans les romans ou pronostiqué dans des essais, l’avenir qu’on nous promet augure bien des angoisses… ou des motifs de satisfaction, c’est selon. Une chose est sûre, notre futur sera ce que nous en ferons.
Rapport. La couverture l’annonce un peu pompeusement : « Le rapport que Trump a trouvé dans le Bureau ovale », sans préciser, toutefois, s’il l’a lu ou le lira… Ce rapport du Conseil national du renseignement (NIC), qui fournit analyses et perspectives à la CIA, décrypte et décortique la situation actuelle, tant d’un point de vue politique qu’économique, afin d’imaginer plusieurs scénarios sur ce que pourrait être le monde dans vingt ans. Quels seront les choix stratégiques de la Russie, alors que son économie semble faiblir de façon presque irrémédiable ? Quels peuvent être les derniers atouts d’une Europe engluée dans ses tentations populistes ? Quelles peuvent être les options de l’Inde, alors qu’elle doit surtout – et avant tout – combattre la pauvreté ? Que peut espérer l’Afrique, qui va très vraisemblablement connaître un véritable boom démographique. Les questions posées sont souvent pertinentes, parfois angoissantes, les réponses peuvent paraître un peu maigres au regard des enjeux. Mais l’ouvrage a au moins le mérite de poser les défis qui nous attendent.
Prospectif . Que peut être demain ? Quels sont les enjeux, tant sociétaux qu’économiques, tant démographiques que philosophiques ? Virginie Raisson, qui dirige le Lépac (@laboLEPAC), un laboratoire privé et indépendant d’études prospectives et cartographiques, n’en est pas à son coup d’essai. Elle décortique ici tous les champs, ou presque, du possible. Les textes sont longs et complets, érudits sans être savants ; les illustrations complétant parfaitement le propos sans jamais être littérales. L’auteur réussit à faire, avec un sujet complexe et compliqué, un coffee‑table book qu’on a beaucoup de mal à lâcher, tant il est traité avec pertinence et… bienveillance.
Flippant. Il y a une chance sur deux pour que, d’ici à vingt ans, l’avocat qui gère votre contentieux soit un robot, deux chances sur trois pour que le journal que vous lisez soit écrit par un robot, pour que le polar suédois que vous dévorez dans le train ait été traduit par un robot, pour que votre implant dentaire ait été conçu et fabriqué par un robot… Ils seront partout, débarrasseront l’homme des tâches à la fois les plus ingrates, mais aussi les plus répétitives, les plus automatiques, les plus techniques… De la fin des années 50, où elle a été théorisée, à demain, l’intelligence artificielle n’a cessé de progresser, d’apprendre de mieux en mieux, de plus en plus et de plus en plus vite. Jusqu’à être totalement autonome et ne plus avoir besoin de l’intelligence humaine. Pas de quoi avoir peur pour autant. A travers le « destin » de Lucie, les auteurs, Charles‑Edouard Bouée, patron de Roland Berger, grand cabinet de conseil allemand, et François Roche, journaliste et ancien directeur de la rédaction de La Tribune et de L’Expansion, imaginent le point de bascule, dans vingt ans précisément, où le robot pourra se passer de l’homme. L’heure de passer un marché, sans doute… Sans quoi l’humanité pourrait‑elle être vouée à disparaître ?
Optimiste. Ne pas avoir peur ne tient pas forcément de l’angélisme. Cela prouve aussi la confiance. Ici, la confiance en l’avenir. Pour l’auteur, un chef d’entreprise, directeur général du Groupe Acticall Sitel, cofondé en 1994 et devenu l’un des leaders mondiaux de l’expérience client avec 76 000 salariés dans 23 pays, il faut arrêter d’imaginer le pire du futur, arrêter de penser que l’homme court à sa perte. Selon Arnaud de Lacoste, l’intelligence artificielle est bel et bien une chance pour l’humanité. Une valeur ajoutée, en somme. « Algorithmes et robots seront de précieux adjuvants dans la quête de valeur ajoutée si, et seulement si, nous parvenons à combiner leurs pouvoirs à l’expérience des salariés. » Un plaidoyer qui prend le contre‑pied des fantasmes les plus répandus.
Nécessaire. On peut voir le futur proche, ou moins proche, de manière très anxiogène. C’est assez facile. On peut aussi réaliser qu’on vit certainement mieux aujourd’hui qu’il y a vingt ans et qu’on vivait certainement mieux il y a vingt ans qu’il y en a quarante… On peut donc envisager le monde de demain comme un gigantesque voyage vers de nouveaux ossibles. C’est le parti pris, résolument optimiste, de cet ouvrage. Qui ne tombe pas forcément dans l’angélisme béat pour autant.
Emblématique. « N’oubliez jamais qu’il suffira d’une crise politique économique ou religieuse pour que les droits des femmes soient remis en question. » Nous sommes en 1949, Simone de Beauvoir publie Le Deuxième Sexe. En 1985, Margaret Atwood publie un roman d’anticipation dans lequel la femme a perdu tout libre arbitre dans une société devenue autoritaire, une théocratie militaire. En 2017, malheureusement, certaines des prophéties de l’auteur canadienne semblent s’être réalisées : montée de certains totalitarismes, poussées religieuses, angoisses environnementales… Et, finalement, le monde qu’elle décrit ne semble pas si invraisemblable que cela… A lire absolument. Ou à voir : l’ouvrage a été adapté au cinéma par Volker Schlöndorff (1990) avec Faye Dunaway et, surtout, pour la télévision, par Hulu, avec la géniale Elisabeth Moss (« Mad Men ») dans le rôle de l’héroïne, Offred/Defred (la femme de Fred).
Visionnaire. Keynes l’avait prédit pour ses petits‑enfants… ce sera sans doute, peut‑être, pour les nôtres : la semaine de travail sera un jour de 15 heures. Toutes les idées, même celles qui semblent les plus farfelues au moment où elles sont énoncées pour la première fois, comme l’abolition de l’esclavage ou l’instauration de la démocratie, n’ont été réalisées que parce qu’elles étaient réalistes pour ceux qui y croyaient. En d’autres termes, l’utopie a de l’avenir devant elle, le tout étant d’y croire dur comme fer. Alors, ce journaliste, et surtout historien, néerlandais nous donne, en analysant le passé et les travaux de ses prédécesseurs ou d’économistes contemporains, toutes les raisons d’espérer en un monde meilleur. Albert Hirschman résumait ainsi l’utopie : « Il suffit souvent qu’une utopie se réalise pour qu’elle soit presque perçue comme un lieu commun… » It’s up to you !
Toutes vérités… « Dans ce monde qui change à une vitesse foudroyante, une vision à long terme est indispensable. » Or, regrette amèrement l’auteur, les politiques ne semblent avoir pris la bonne mesure ni des enjeux ni des phénomènes annonciateurs de catastrophes, tant ils semblent englués dans une vision court‑termiste. Alors que la part des économies des pays émergents dans le PIB mondial a dépassé, en 2015, celles des vieilles nations occidentales, ces dernières continuent de croire en leur éternelle suprématie. Avec les experts de l’Emerging Markets Forum, Michel Camdessus, ancien gouverneur de la Banque de France et directeur général du FMI, après un constat sans appel, imagine 5 chantiers prioritaires qui permettraient de bâtir, pour 2050, un monde simplement plus « habitable ».
Angoissant. Et si, en attendant que la vie devienne éternelle, ce qui ne saurait tarder, on acceptait de devenir une créature éprouvette ? Et d’imaginer revenir dans le monde des hommes, augmenté cette fois, et prêt à vivre 1 000 ans ? C’est ce que propose un centre de recherche aussi moderne que glacé et glaçant, Zero K, dans les confins d’une ancienne république soviétique. Il n’y a pas une seule lueur d’espoir dans ce livre lourd, oppressant, nécessaire. Science‑fiction ? Oui… mais pas vraiment. Déjà certains « illuminés » ont choisi la cryogénisation et « attendent » patiemment, derrière les hauts murs d’un labo en Arizona, des jours meilleurs… Sans doute DeLillo n’est‑il ici qu’un agitateur de chiffon rouge.
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