The Good Business
Tous les modes de transport gagnent en autonomie. Restent à définir les règles de ce nouveau monde où drones, avions, bateaux, trains, autos et camions se déplaceront de manière autonome sans intervention humaine directe.
Modules amphibies, capsules individuelles, avions personnels… Depuis longtemps, nous rêvons d’avoir des véhicules personnels autonomes pour nous déplacer dans les airs ou par la route. Les premiers spécimens sont apparus dans les films ou dans les romans d’aventure et de science-fiction. Plus besoin de savoir piloter ou conduire, il nous suffirait de dire à haute voix où nous voulons aller ou d’afficher notre destination sur un écran pour y être transportés.
De progrès en avancée technologique, à coup d’ABS, de pilote automatique, de régulateur de vitesse, de système de parking automatisé, de métro sans conducteur, sans parler des fusées capables non seulement de décoller, mais aussi de revenir se poser toutes seules sur leur base, nous avons déjà fait un bon bout de chemin vers le véhicule autonome. C’est sûr, la tendance va se poursuivre et l’autonomie devenir une réalité au cours des deux prochaines décennies.
Du côté de l’automobile, les acteurs partagent une certitude : les voitures seront électriques, connectées, et une grande partie d’entre elles seront autonomes. Le Japon ouvre la voie en s’engageant à transporter en taxis autonomes les athlètes et le public des jeux Olympiques qui se tiendront à Tokyo en 2020. Le pays mise pour cela sur ses entreprises nationales et leur savoir-faire. Le spécialiste nippon de la robotique ZMP s’est associé à l’une des principales sociétés de taxis de Tokyo pour mettre au point les futurs véhicules, qui devraient être testés en 2018.
Toyota, partenaire officiel des JO, planche, pour sa part, sur un projet dont l’objectif est d’aller en voiture volante allumer la flamme olympique. Déjà, des véhicules autonomes sillonnent des campus ou des zones délimitées. A l’image des navettes du français Navya, qui circulent toute la semaine, depuis septembre 2016, dans le quartier lyonnais de Confluence. Ou des quelques voitures sans conducteur d’Uber qui roulent dans trois villes des Etats-Unis, San Francisco (Californie), Tempe (Arizona) et Pittsburgh (Pennsylvanie). Mais la plupart des véhicules qui circulent aujourd’hui le font soit en itinéraire protégé, comme la navette qui circule depuis mi-novembre dans le bois de Vincennes, soit sous la surveillance d’un humain assis à la place du conducteur et prêt à intervenir en cas de problème. Aux Etats-Unis, des centaines de véhicules ont ainsi été testés sur les routes afin de valider leur capacité à évoluer au milieu du trafic.
Google à la manœuvre
Les pionniers du domaine s’appellent Tesla, Uber, nuTonomy, Waymo ou Navya. Lors du dernier Salon de Francfort, qui s’est tenu fin septembre 2017, tous les constructeurs automobiles ont affirmé travailler sur le sujet. Certains, comme Smart, Mercedes, Audi ou Renault, ont présenté leurs concept-cars autonomes. Mais la vraie innovation de ce Salon était la présence des géants de l’électronique et de l’informatique, Google et Facebook en tête. Cela prouve que le véhicule autonome se fera avec eux.
Les alliances entre constructeurs, équipementiers et grands du numérique vont sans aucun doute se multiplier dans les prochaines années, à l’instar des accords passés récemment entre BMW, Intel et Fiat-Chrysler ou entre PSA Peugeot-Citroën et nuTonomy (désormais dans le giron de l’équipementier Delphi). L’autonomie des voitures est rendue possible et ne cessera d’être améliorée grâce aux récents progrès conjugués de deux domaines technologiques : les capteurs, radars et autres caméras, qui permettent de percevoir très finement l’environnement et de localiser le véhicule, et les logiciels, notamment les algorithmes et les techniques d’intelligence artificielle.
Navya se revendique comme précurseur de ce marché. Ses navettes, fabriquées à Vénissieux, près de Lyon, transportent jusqu’à 15 personnes et circulent déjà dans plusieurs endroits du monde depuis 2016. En novembre 2017, Navya a décliné sa gamme et présenté Autonom Cab, son robot taxi. Celui-ci ressemble à un grand monospace, capable de transporter 6 personnes et de rouler à une vitesse de 90 km/h au milieu du trafic. « Nous ne fabriquons pas des automobiles, mais des véhicules de mobilité, partagés, sans volant, sans pédales, sans poste de pilotage. Autonom Cab est le seul véhicule au monde de niveau 5, c’est-à-dire totalement autonome, qui soit disponible et commercialisé », affirme Christophe Sapet, président de Navya.
Waymo, filiale d’Alphabet, la maison mère de Google, a elle aussi franchi une étape en fin d’année 2017. Son CEO, John Krafcik, a annoncé qu’après avoir été expérimentés sur route par du personnel de l’entreprise pendant toute l’année 2017, les véhicules Waymo allaient être testés dans la région de Phoenix (Arizona) par des personnes qui seront tirées au sort et qui pourront les utiliser au quotidien. Des entreprises, à commencer par Uber, voient dans l’autonomie la possibilité de développer leur activité en s’affranchissant de la dimension sociale. Tout un corps de métier risque de disparaître. Les Etats-Unis, déjà conscients du sujet, envisagent de reconvertir les quelque 4 millions de chauffeurs professionnels qui sillonnent les routes.
Des tests ont été menés avec des camions autonomes roulant, de nuit, en convoi. Le secteur des transports et de la logistique, déjà consommateur de véhicules autonomes dans les entrepôts, mise beaucoup sur ces technologies qui réduiraient ses coûts et, surtout, les délais d’acheminement des marchandises. Les drones de livraison au client final sur « le dernier kilomètre » compléteraient la chaîne, qui serait alors totalement autonome de la production à la livraison.
Des trains filant jusqu’à 1 200 km/h
En ce qui concerne les trains et les métros, ils sont de plus en plus nombreux à rouler sans conducteur. La technologie est au point, les rails existent, et la circulation se fait en site protégé. Pourtant, c’est ce mode de transport que l’un des projets les plus fous se propose de révolutionner : Hyperloop, la navette à très grande vitesse (jusqu’à 1 200 km/h), qui circule dans un tube par sustentation magnétique. Une piste d’essai sera construite en 2018 du côté de Toulouse. Des tests ont été menés dans le Nevada, et le premier tronçon commercial devrait parcourir les 160 kilomètres qui séparent Dubaï d’Abou Dhabi en douze minutes en 2022…
Les bateaux aussi veulent leur autonomie. Pour transporter les millions de conteneurs qui transitent chaque mois sur les océans, Rolls-Royce, associé à Google, a lancé un projet de porte-conteneurs autonome que l’entreprise espère voir aboutir d’ici à 2021. Fini les équipages ! L’informatique et les satellites assurent le pilotage du bateau et ses manœuvres jusqu’au port, où d’autres véhicules autonomes le déchargent. Ces bateaux pourront approvisionner les plates-formes pétrolières ou les îles isolées, mais également assurer des missions de surveillance. Les militaires en testent déjà pour ce type de missions d’observation.
Quant aux sous-marins autonomes, ils sont aux océans ce que les drones sont aux avions. Entre 2020 et 2030, ils devraient se multiplier, et pas seulement dans le domaine militaire, où ils servent à des opérations de surveillance et de défense. Leurs applications civiles concernent principalement l’exploration des très grands fonds dans lesquels l’humain ne peut pas aller, et donc pas intervenir. En 2016, Boeing a, par exemple, testé son sous-marin autonome Echo Seeker au large des côtes de Californie.
Avions et voitures volantes autonomes
Dans l’aérien, l’idée d’autonomie n’est pas nouvelle. Depuis longtemps, l’avion est en mode pilotage automatique pendant une grande partie du temps de vol. « Le nombre de pilotes à bord est passé de trois à deux. Il existe des procédures pour pallier toute défaillance et les pilotes disposent d’outils d’aide à la décision pour les situations de crise, souligne Pierre Gadrat, associé en charge de l’aérospatial et des matériaux du cabinet de conseil Alcimed. Les Américains ont même fait voler un avion de guerre tout seul [un F-16, en avril 2017, NDLR]. Il y a moins de risque de collision en autonomie, mais le problème est l’acceptation des passagers. Ils ne sont pas prêts à monter dans un avion sans pilote. » Le développement de l’autonomie dans le secteur aérien se fera surtout par les drones professionnels, de livraison, de loisir ou militaires.
S’y ajouteront très certainement les voitures autonomes volantes ! En effet, depuis septembre 2017, Dubaï teste des taxis autonomes volants capables de transporter deux personnes… en plus du pilote, qui reste présent pour l’instant, on ne sait jamais ! Il faudra environ cinq ans avant que de tels véhicules soient accessibles au public. Pierre Gadrat n’est pas très enthousiaste : « Je crois plus aux drones qu’aux voitures volantes. Les drones serviront à la logistique pour transporter du matériel et des marchandises. Peut-être à terme transporteront-ils une personne, mais le problème de la gestion de la densité du trafic se posera. Il faudra donc faire évoluer la réglementation aérienne. » Mais pas seulement…
Pour faire circuler des tramways, des voitures autonomes sur lesquelles des drones pourront venir se poser pour se recharger en énergie, des piétons, des navettes et des taxis robots, il va falloir repenser la réglementation des transports et revoir les infrastructures. Certaines grandes villes imaginent déjà que si l’autonomie réduit le nombre de véhicules en circulation et met fin aux embouteillages, les piétons pourront se réapproprier une partie des rues qui seraient arborées et aménagées… Les principaux bénéfices de l’autonomie seront sociaux. « La mobilité autonome se traduit par une diminution importante du nombre d’accidents de voiture, qui sont causés à 90 % par des erreurs humaines. Nous estimons que, d’ici à 2050, il y aura 300 000 vies sauvées, ce qui se traduit par des économies de l’ordre de 2 200 milliards d’euros sur la période », souligne Guillaume Thibault, consultant au sein du cabinet Oliver Wyman.
Bien sûr, il existe encore de nombreux freins avant que le transport s’adonne pleinement à l’autonomie, à commencer par les dimensions législative et éthique, afin de pourvoir l’intelligence artificielle de comportements vertueux. Ce nouveau mode bouleverse les business-modèles et les relations entre les acteurs historiques du secteur. « Mais les freins et les blocages sont autant d’opportunités pour les entreprises qui apportent de nouveaux business-modèles, remarque Guillaume Thibault. Il est difficile d’imaginer aujourd’hui ce que sera le paysage de la mobilité dans vingt ans. Par exemple, aux Etats-Unis, une étude a évalué à 15 % la baisse du chiffre d’affaires des motels, car les gens ne s’arrêteront plus pour passer la nuit, ils dormiront dans leur voiture autonome… » Si nous ne conduisons plus, ces voitures deviendront des lieux de vie. D’aucuns les imaginent comme des espaces modulables où nous pourrons regarder un film, travailler, nous faire livrer un repas par drone…
Dans notre société toujours plus mondialisée, où les individus et les marchandises circulent sans cesse tout autour de la planète, l’autonomie des transports est appelée à rester encore longtemps un domaine d’innovation. Cela devrait nous réserver bien des surprises, tant l’imagination des créateurs et des entreprises semble sans limites.