The Good Business
Né en 1969, cet ingénieur est un visionnaire. Greg Wyler promet Internet pour toute la planète. Rien de moins ! Difficile d’être plus mondialiste que ce milliardaire qui n’en est pas à son premier coup d’éclat. Son rêve : combler complètement la fracture numérique d’ici à 2027, en offrant Internet à tous, jusqu’au village le plus reculé d’Afrique.
Avec la création, en 2007, de O3b Networks, acronyme de « the Other 3 Billion » (en référence aux trois autres milliards de personnes qui ne sont pas raccordées au web), Greg Wyler a fait ses premiers pas dans l’espace en mettant sur orbite une flottille de douze satellites au-dessus de l’équateur. A son actif : la fourniture de l’Internet mobile 3G à une centaine d’écoles situées dans les coins les plus déshérités de la planète. Une expérience fondatrice ! « Il faut aller plus loin dans le désenclavement des régions rurales », annonce-t-il. Le projet OneWeb germe alors dans son cerveau. L’aventure n’est pas trop grande à ses yeux. Et elle prend forme en 2012. Rien de moins que de permettre à tout individu dans le monde d’avoir un accès égal à l’information grâce à 900 satellites très légers capables de couvrir les endroits les plus isolés de la planète d’ici à 2027. Un projet motivé par des principes d’égalité, de diffusion de la connaissance et de paix. Que la moitié du globe se trouve, par manque de liaisons Internet, à l’écart des marchés émergents et donc de l’économie mondiale, est pour lui une injustice absolue. « La constellation des satellites OneWeb va changer la vie de milliards d’êtres humains en les connectant au monde de la connaissance. Avec OneWeb, nous serons en mesure de permettre un accès Internet à chaque école dans le monde. » Un système qui contribuera aussi à apporter les mêmes chances et opportunités dans le domaine de la santé, de la création d’entreprise, des transports, de l’organisation des communautés locales…
Bref, il s’agit de permettre aux plus pauvres d’être économiquement autonomes. « Quand on leur donne l’accès à l’information, les gens s’élèvent socialement, s’améliorent, se transforment et peuvent s’aider eux-mêmes, sans être dépendants ou tributaires des pouvoirs », souligne Greg Wyler. Et ne lui rétorquez surtout pas que son projet est compliqué. Pour des pays qui partent de zéro, il est bien plus simple, plus rapide et moins coûteux à mettre en place que le raccordement terrestre via les réseaux par câble ou fibre qui sont, eux, conçus pour les pays riches. « Il suffit d’un terminal posé comme une antenne sur le toit de sa maison, de son école ou de son hangar, relié à un satellite capable de répercuter le signal au réseau Internet, explique-t-il. Chaque petit terminal d’utilisateurs (UT) marche à l’énergie solaire, fonctionne comme un téléphone portable et ne vaut pas plus que 250 dollars. Un seul UT peut servir l’ensemble de la communauté locale. Faciles à installer, ces terminaux peuvent être de différentes tailles ou formes selon les besoins, pour pouvoir relier des trains, des voitures, des tours de communication cellulaires, des résidences. » Greg Wyler n’est toutefois pas le seul à nourrir de telles ambitions spatiales. D’autres milliardaires de la Silicon Valley, comme Larry Page et Sergey Brin, Mark Zuckerberg ou Elon Musk, sont sur le pas de tir pour tenter de conquérir ce marché plein de promesses. Les uns avec des ballons stratosphériques (Google), les autres avec des drones à partir d’un avion solaire (Facebook), les troisièmes avec des milliers de minisatellites (SpaceX). Mais Greg Wyler possède des atouts clés : sa rapidité et beaucoup de feeling.
OneWeb : une course de vitesse Europe contre Silicon Valley
Le projet OneWeb démarre concrètement en juin 2015 à Paris, ou plus précisément au Salon international de l’aéronautique et de l’espace du Bourget, lorsque est annoncée une importante levée de fonds. Greg Wyler joue la carte européenne avec Arianespace et Airbus. C’est une rencontre entre Greg Wyler et le staff d’Airbus, en décembre 2014, qui aura été décisive. « C’était difficile d’imaginer comment produire des satellites en série, ce qui n’avait jamais été fait », rappelle Tom Enders, le président du groupe aéronautique, lors de l’inauguration, en juin 2017, de la première usine d’assemblage de satellites à Toulouse. « Greg Wyler avait déjà, à cette époque, plusieurs projets à son actif, dont une constellation satellitaire de moindre ampleur et des réseaux de fibre optique en Afrique », précise Eric Béranger, le directeur de OneWeb, choisi par les actionnaires pour piloter le projet. Et il doit agir vite : d’autres Californiens 2.0 sont sur la rampe de lancement avec des projets certes comparables, mais moins avancés. « Nous visons un premier lancement au printemps 2018, puis une montée en cadence avec l’introduction de services sur le marché commercial dès la in 2019 », souligne-t-il encore. Arianespace a même déjà réservé de nombreux créneaux de lancement pour les années 2018, 2019 et 2020. Une chaîne de production en série a donc été inaugurée en juin 2017 à Toulouse. C’est une « mission ambitieuse », a reconnu à cette occasion le patron du groupe Airbus : « Jamais, auparavant, un tel niveau de coût, de cadence et de volume n’a été atteint pour des satellites de grande qualité. En lui-même, le projet OneWeb est une vraie révolution, pas seulement pour Airbus, mais pour toute l’industrie spatiale. » Un autre pôle permanent d’assemblage de satellites est en cours d’implantation à Exploration Park, en Floride, près du centre spatial Kennedy. Il s’agit maintenant de gagner la bataille contre le temps. « C’est la campagne de lancement la plus vaste jamais réalisée, avec de nouveaux satellites mis en orbite tous les vingt et un jours », précise Greg Wyler.
Un marché de l’Internet spatial naturellement planétaire
L’une des grandes forces de OneWeb, qui lui a permis d’avancer aussi vite et qui va peut-être lui permettre de gagner cette course contre la montre, c’est incontestablement son panel de partenaires industriels et financiers. Au premier chef Airbus Defense and Space, pour les satellites à bas coût, au sein d’une joint-venture à 50-50, OneWeb Satellites. Autre avantage, le choix d’Ariane et Soyouz, des lanceurs qui ont fait leurs preuves, offrant une disponibilité unique sur le marché, capables de lancer des petits satellites par grappes et dotés d’une grande souplesse de lancement. Sans compter le soutien du fondateur de Virgin, le milliardaire Richard Branson, ami de Greg Wyler. Sur le plan financier, la société a aussi reçu des apports en capital d’investisseurs tels que Qualcomm, Hughes, Intelsat, MDA, Coca-Cola, Grupo Salinas ou encore Bharti, partenaires auxquels est venu s’ajouter le groupe japonais de télécommunications SoftBank, avec la bagatelle de un milliard de dollars. Le marché de cet Internet spatial est naturellement planétaire. « En tant que premier opérateur d’un réseau Internet haut débit totalement mondial, nous allons donner accès à toutes les possibilités du numérique partout dans le monde. Nos clients seront les opérateurs de téléphonie mobile et les fournisseurs d’accès Internet qui l’utiliseront pour étendre à la fois la gamme et la couverture de leurs services », indique Eric Béranger. Concrètement, pour accomplir ce défi, OneWeb va placer une constellation de satellites sur orbite terrestre basse, la zone située entre l’atmosphère et la zone de particules énergétiques, à 1 200 km de la Terre, au lieu des 36 000 km où tournent les satellites géostationnaires. Soit trente fois plus près de la Terre que les satellites habituels. Ainsi, partout dans le monde, chacun utilisera son smartphone ou sa box avec son opérateur traditionnel, sans même se rendre compte que sa conversation, son courriel ou ses photos transitent à une altitude néanmoins trois fois plus élevée que celle de la station spatiale internationale, qui elle gravite à seulement 400 km autour de la Terre !
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