The Good Business
C’est le premier port de Corée du Sud et il s’est hissé, en quelques décennies seulement, au sixième rang mondial des ports à conteneurs. Situé dans le sud-est de la péninsule coréenne, dans la seconde plus grande agglomération du pays, le port de Busan entend bien s’imposer comme un hub stratégique en Asie du Nord-Est.
Pendant que le taxi file à toute allure de voie rapide en voie rapide, naviguant avec efficacité dans l’inextricable réseau routier de Busan – 3,7 millions d’habitants –, il s’avère en fin de compte plus compliqué que prévu d’arriver à bon port. Le chauffeur de taxi est persuadé que nous ne nous rendons pas à la bonne adresse et que nous allons rater notre ferry. Le dialogue de sourds commence. C’est notre rendez-vous avec la BPA (Busan Port Authority) que nous allons finir par rater. Tant bien que mal, nous réussissons à convaincre le chauffeur de taxi, suspicieux, de nous déposer devant les locaux de la BPA, qu’il découvre en même temps que nous. Il finit par nous larguer aux abords du port dans une jungle urbaine striée de routes à dix voies, toutes plus encombrées les unes que les autres. Nous finissons par aviser un pont piétonnier depuis lequel l’anarchie et la cacophonie urbaines environnantes nous étourdissent. L’ensemble de la baie de Busan est consacré à la fonction portuaire à tel point que la ville subit de plein fouet ses développements successifs. Embouteillages, pollutions visuelle et sonore. L’atmosphère est asphyxiante. Limitée au nord par une frontière hermétique, la Corée du Sud s’apparente à une île. La mer est donc la principale vectrice de son commerce extérieur, d’où l’enjeu fondamental qui dépend de la maîtrise de ses espaces maritimes, notamment par le biais de ses ports.
Dans les années 70, le décollage économique du pays repose d’abord sur les exportations. Les échanges commerciaux sont maritimes à 99 %. Le port de Busan, premier port de conteneurs du pays, lui offre une ouverture internationale de premier ordre. Situé dans le sud-est de la Corée du Sud, il offre l’avantage de se trouver à proximité de l’axe maritime asiatique, qui se déploie du Japon à Singapour, en passant par Hong Kong. Il n’est qu’un segment de l’artère de circulation des marchandises qui relie les pôles de la triade – Asie orientale, Europe occidentale et Amérique du Nord – dominant actuellement l’économie mondiale. A partir de cette artère se déploient, vers l’est, la route à destination de l’Amérique du Nord et, vers l’ouest, celle à destination de l’Europe : deux axes qui concentrent les flux de conteneurs les plus importants au monde. C’est là que se joue l’un des aspects économiques fondamentaux de la mondialisation. En effet, pour des raisons d’économie d’échelle, la majeure partie des échanges commerciaux mondiaux passe par le trafic maritime. Dès les années 80, la suprématie traditionnelle des ports japonais décline au proit de ceux des pays nouvellement industrialisés, comme Hong Kong, Singapour et Busan.
Chronologie
- 1876 : création du port de Busan.
- 1906 : début des travaux de construction des quais.
- 1945 : inauguration des quais 1-4 et du quai central.
- 1974-1982 : pour le quai 1, construction de 4 quais à conteneurs et du terminal international de ferry.
- 1985-1991 : développement du port de Busan avec la construction du terminal à conteneurs de Sinseondae.
- 1992-1998 : développement du port avec la construction du terminal à conteneurs de Gamman.
- 2004 : création de la BPA.
- 1995-2020 : construction du Busan New Port qui offrira, à terme, 45 postes à quai et abritera le site « distripark ».
- 2008-2019 : nouveau développement du North Port pour le transformer en front de mer résidentiel et touristique.
Port de Busan : le développement du transbordement
Profitant de la croissance économique sans précédent de la Corée du Sud, le port de Busan acquiert rapidement un statut de première importance et attire nombre d’armateurs coréens, mais aussi étrangers. Port de l’hinterland sud-coréen, il dessert sa région, mais surtout la capitale, Séoul, et ses environs. En raison de sa situation, les autorités coréennes décident, à partir des années 90, de faire du port de Busan un véritable hub et développent sa fonction de transbordement : le transfert (déchargement et chargement) des cargaisons d’un navire à un autre, avec une mise à quai intermédiaire, ne cesse en effet de prendre de l’ampleur. En 2015, il représente 51,9 % de l’activité totale du port, tandis que le trafic de conteneurs s’élève à 19,4 millions d’EVP (équivalent vingt pieds) contre 18,6 millions en 2014, soit une croissance de 4,2 %. Malgré les très bonnes performances du port de Busan, la course à la prééminence portuaire et logistique en Asie du Nord-Est s’annonce rude. La concurrence avec les ports chinois (Shanghai, Shenzen, Ningbo-Zhoushan) est âpre.
L’évolution structurelle du port de Busan témoigne de ces changements contextuels et démontre les efforts d’adaptation des autorités. « La Busan Port Authority a été mise en place le 16 janvier 2004, à la suite d’une concertation entre le ministère des Océans et de la Pêche et la ville de Busan, ain de répondre plus efficacement à la demande des usagers du port », explique Sunsim Kang, manager en charge du marketing et des coopérations internationales à la BPA. C’est une structure alors inédite dans l’industrie portuaire sud-coréenne. En effet, les ports appartiennent traditionnellement à l’Etat, qui agit par l’intermédiaire du ministère des Océans et de la Pêche. La nouvelle autorité portuaire ne dépend ni de l’Etat ni des instances locales et applique les mêmes règles entrepreneuriales que celles du secteur privé. Sa création est caractéristique d’un processus de libéralisation et d’une stratégie de privatisation par le biais de partenariats privé-public. La BPA est en charge du développement, du management et des opérations portuaires de Busan et de son hinterland, ainsi que du développement de complexes et d’infrastructures en lien avec le port. Ainsi gère-t-elle des projets d’envergure, comme l’expansion du Busan New Port et le réaménagement du North Port, l’un des quatre ports historiques qui forment – avec le port de Gamcheon, le South Port et le Dadaepo Port – l’actuel port de Busan. La partie principale du North Port est destinée à un projet de reconversion résidentielle et touristique.
L’idée étant d’offrir ainsi un front de mer digne de la métropole maritime que Busan aspire à devenir. La proximité directe du port de Busan avec la ville ou les montagnes a toujours rendu les projets d’expansion problématiques. A partir des années 80 et jusqu’à aujourd’hui, les autorités portuaires n’ont cessé d’être confrontées aux problèmes d’aménagement. En effet, si Busan offre un site naturel qui se prête aisément à l’accueil des navires grâce à sa baie profonde et bien protégée de la houle, la construction de terminaux modernes se révèle difficile en raison de l’absence de superficie disponible. Si, durant les années 90 et 2000, cinq terminaux à conteneurs (Jaseongdae, Sinseondae, Gamman, Singamman et Uam) ont été construits au sein du North Port pour répondre à la demande toujours croissante de manutention de conteneurs, ils ont tous été gagnés par remblayage sur la baie afin de dégager les profondeurs de quai nécessaires à la conteneurisation. Malgré ces extensions impressionnantes, l’accroissement du trafic est tel que les terminaux restent constamment saturés. Pour remédier à cette situation, les autorités sud-coréennes prennent des mesures et décident de construire deux nouveaux ports. Le premier, à Gwangyang, situé sur la côte sud, à 140 km à l’ouest de Busan, est inauguré à la fin des années 90 pour désengorger rapidement le port de Busan. Le second, le Busan New Port, situé à 25 km du port actuel, s’inscrit dans le plus long terme comme un chantier d’envergure et de longue haleine, qui rappelle la temporalité nécessairement longue, inhérente aux grands travaux du secteur industriel. Sa construction débute dès la fin des années 90. Il est inauguré en 2006, mais la fin des travaux est prévue pour 2020. A terme, il offrira 45 postes à quai et sa capacité annuelle est estimée à plus de 15,84 millions d’EVP pour un revenu d’environ 4 milliards d’euros par an.
Construction d’un immense « distripark »
En plus de la mise en place de ce hub moderne et technologique, la BPA a également entrepris la construction d’un « distripark », véritable gigacomplexe d’installations, sur une superficie de 9,44 millions de mètres carrés. Cette zone de libre-échange assurera la logistique et proposera des services de stockage, de distribution et de reconditionnement de conteneurs. Elle devrait être achevée en 2020. « Notre objectif est d’accroître notre compétitivité et notre valeur ajoutée afin de devenir un hub logistique stratégique et incontournable pour le commerce en Asie du Nord-Est », explique Sunsim Kang.
La BPA participe également activement à la promotion de ses ports et de ses terminaux à l’échelle internationale. Par le biais d’une campagne marketing et commerciale efficace et pragmatique, la BPA a su développer sa compétitivité en attirant un volume croissant de cargos tout en maintenant une stabilité commerciale et financière. Ainsi le port de Busan associe-t-il de façon complexe des fonctions de desserte d’hinterland et de transbordement, avec la difficulté supplémentaire de se trouver implanté dans une grande métropole de 3,7 millions d’habitants. Avec le Busan New Port, la Corée du Sud fait le pari de répondre aux enjeux réticulaires en affirmant sa fonction de nœud maritime tout en favorisant le développement territorial.
Lire aussi