Aventures
Lifestyle
Ce photographe inspiré réalise d’innombrables portraits qui éduquent notre regard et questionnent notre rapport à la vieillesse, à la maladie, mais aussi à la beauté et à la liberté. Rencontre.
De 1999 à 2011, Hervé Szydlowski se rend chaque été au centre hélio-marin de Montalivet. En capturant la véracité de ces corps bruts et imparfaits, il nous raconte une histoire universelle de vie et de mort.
Entretien avec Hervé Szydlowski
The Good Life : Pouvez-vous raconter l’histoire de cette série ?
Hervé Szydlowski : C’est peut-être, au départ, une sorte de « partage de midi », quand on a le sentiment d’être au milieu de sa vie et que c’est le moment où tout palpite. Alors, je suis retourné sur ce lieu que j’ai aimé quand j’avais 16 ans. C’était en 1998. Etait-ce pour oublier ? pour me souvenir ? Le soleil, l’océan Atlantique et ces vastes espaces que sont la plage et le ciel, la dune, la lande et la forêt ont tout balayé chez moi pour laisser le champ libre à la possibilité d’une création. Quelque chose de fort se passait là. Un passage. Un reset. L’année suivante, j’ai commencé à donner des cours de dessin de nu et à réaliser mes premiers clichés avec un vieux 6 x 6 Yashica. C’était fou de voir tous ces gens nus. J’étais fasciné. Il y avait là, devant moi, comme une évidence. Un fragment entier de l’humanité. La série était en devenir.
TGL : Que représente Montalivet pour vous ?
H.S. : C’est, bien sûr, un lieu mythique. Son centre hélio-marin est le premier grand centre naturiste d’après-guerre en Europe. Il a son histoire. Une terre brûlée, des pionniers naturistes et leurs premiers bungalows faits de quelques planches, dignes du Far West. J’ai l’impression de parler de chercheurs d’or. Et cette nudité-là est d’ailleurs or ou diamant. Pour moi, ces personnes âgées que j’ai photographiées sont redevenues des diamants bruts. Montalivet est un paradis perdu et/ou retrouvé. Un jardin d’Eden ? Là-bas, c’est pouvoir se perdre à l’infini dans une forêt qu’on imagine originelle et se dire : « sois l’Être » plutôt que « Être soi ». J’aime courir nu sous un orage des kilomètres sur la plage, enduit d’huile de sésame afin de me protéger du froid et de la pluie. C’est vrai que là, il n’y a pas foule… Et c’est très bien comme ça, plus de parasitage, d’interférence ou de consumérisme. Redevenir, un temps donné, un « Homme nature ». C’est la liberté.
TGL : Pourquoi donner à voir des corps nus ?
H. S. : Comment résister à la vérité et à la beauté des corps nus ? Peut-être que je saurai un jour pourquoi le nu a été mon thème depuis des années, aussi bien dans le dessin que dans la photographie. Je me demande toujours si je n’ai pas photographié des personnes âgées pour apprivoiser ma propre vieillesse à venir. Ces corps nus apparaissent comme un véritable « cartogramme de l’existence ». C’est une expression fabuleuse de l’historienne de l’art Charlotte Waligora, qui se rapporte parfaitement à mon travail. Le critique Hervé Le Goff a écrit une magnifique préface dans mon livre Montalivet publié aux éditions Michel Husson en 2012 et qui sera une nouvelle fois publiée avec un extrait dans la carte 33 Montalivet, dans la collection This is not a map aux éditions Poetry Wanted en 2015. Il trouvait que si on abordait mon travail sous l’angle du nu, on pouvait se dire que cela pourrait être un portrait, et vice versa. Comme des portraits, ces corps nous racontent des choses formidables, au-delà des conventions et des tabous. Ils nous invitent à la bienveillance, à l’amour et à la lumière.
TGL : Qu’aimez-vous dans la photographie ?
H. S. : Je me surprends encore à aimer charger mes vieux Mamiya C330 bi-objectifs avec des films sur la plage, exercice toujours périlleux et contraignant avec le sable et l’embrun, et mesurer la lumière avec ma cellule à main tout en parlant avec le modèle pour lui dire de ne pas forcément écouter ce que je lui demande. Jeu de contradiction des cerveaux gauches et droits, dans un précipité. On ne sait pas toujours ce que l’on veut mais on sait ce que l’on ne veut pas au moment même où ça se produit. Saisir l’insaisissable certainement. Un moment éphémère. Une beauté d’âme, un regard, un geste de main, une attitude, une solitude, une différence… Triade, es-tu là ? La photographie est un médium parmi d’autres d’accord… Et la technique peut s’acquérir quoi qu’il en soit… Mais le message délivré est la clé de voûte de l’édifice.
Lire aussi
Photo : Nicolas Comment, le regard d’un poète