Culture
Il a fêté ses 70 ans cette année. Malgré ses airs de berger du Piémont, l’homme n’a jamais été aussi conquérant. Ses arbres de bronze, ses forêts de lauriers et ses outres de terre cuite se propagent dans le monde comme floraison au printemps. Rencontre dans son atelier, à Turin.
A Londres, au pied de la tour de Norman Foster, Giuseppe Penone oppose à la tectonique urbaine ses branchages dénudés. Au Grand Palais, à Paris, il infiltre une exposition sur les jardins et présente un immense frottage de feuilles et de couleurs végétales sur toile. A Rome, il fait léviter à cinq mètres une plaque de marbre de onze tonnes. A Abou Dhabi, dans la grande galerie du futur Louvre des sables, il dispersera bientôt une pluie de lumière depuis un arbre de bronze couvert de miroirs.
Giuseppe Penone n’en démord pas : dans une société coupée de la nature, où l’écran de l’ordinateur filtre le réel, il continue de chanter les vertus de la sève, de la foudre et des vapeurs de la terre. L’une de ses premières sculptures est née en 1968, dans les bois de Garessio, son village natal situé à 110 kilomètres de Turin. Une main de bronze (moulée à partir de la sienne) enserre un arbre. En croissant, l’arbre à son tour enserre la main.
La génèse
Alors à peine âgé de 21 ans, Giuseppe Penone célèbre les noces de l’art et de la nature. Il s’inscrit ainsi dans la lignée de Mario Merz, de Michelangelo Pistoletto et de Giulio Paolini, les guérilleros de l’Arte Povera dont il est de dix ans le cadet. L’Arte Povera vante, à la in des années 60, l’économie du geste et la modestie des matériaux. Le mouvement naît précisément à Turin, dans cette ville qui est, à l’époque, le fief de l’industrie automobile italienne et le haut lieu du combat contre le système capitaliste et la société de consommation.
Enfant de 1968, Giuseppe Penone puise ses forces de contestation dans ses attaches rurales et dans son instinct buissonnier. « J’ai été élevé dans un village de montagne. Toute ma famille est d’origine paysanne. J’ai appris à connaître les espèces, à respecter les saisons. J’ai quitté mon hameau à 19 ans, je suis parti étudier à l’Accademia Albertina de Turin. J’ai installé mes ateliers en ville, mais mon attachement pour la terre reste intact. »
Giuseppe Penone nous reçoit dans son atelier de dessin logé dans un bâtiment qui était autrefois un bureau de vente de métaux. Il dispose également, dans la cour, d’un vaste atelier de sculpture encombré de troncs d’arbres et de scies sauteuses. Un espace plus blanc et plus clinique qu’une salle d’hôpital, si bien qu’on peine à imaginer que c’est dans ce lieu aseptisé que germent ses œuvres et ses pensées.
« Il y a une trentaine d’années, j’ai acheté, à vingt minutes de Turin, une grande maison ainsi que 17 hectares de bois, où je me rends très souvent. Il y avait des vignobles, autrefois, mais tout a été abandonné après la guerre et une végétation sauvage s’est créée, avec une grande variété d’espèces: des chênes, des mélèzes, des cerisiers sauvages… » Ce sont précisément ces essences d’arbres qu’on retrouve le plus souvent dans son atelier de sculptures. « Je peux dire que ce bois est, d’une certaine façon, une partie de mon atelier. »
Les arbres sont à Giuseppe Penone ce que les igloos sont à Mario Merz ou ce que les tas de vêtements sont à Christian Boltanski : ils constituent sa marque de fabrique, même s’il s’agace parfois de cette image qui lui colle à la peau depuis 1969. Cette année-là, il a eu l’idée de creuser une poutre en suivant l’anneau de croissance du bois afin de retrouver l’arbre originel, remontant ainsi le cours du temps et de la germination.
« L’arbre a une croissance circulaire ; la forme de l’année précédente est contenue dans l’année qui suit. On peut retrouver la mémoire de son vécu à l’intérieur du bois. » Depuis, bien d’autres arbres ont assis sa célébrité, et notamment ceux qu’il a dispersés en 2013 dans le parc du château de Versailles. Aux Beaux-Arts de Paris, en 2009, on se souvient encore avec émotion de cet arbre de 44 mètres qu’il avait installé dans la cour du Palais des études, avec, en son cœur évidé, une coulure de résine figée évoquant la circulation de la sève.
Tout récemment, c’est un sapin couché de 30 mètres qu’il a déployé dans la grande galerie du Palais de la civilisation italienne de Fendi, à Rome. Coupé en deux dans le sens de la longueur, il évoque un squelette aux branches mortes, qui attend sa renaissance. Mais c’est dans le parc du palais royal de Venaria, à 15 kilomètres de Turin, qu’il a le mieux décliné ses obsessions : dialogue du vivant et de l’inanimé à partir d’un tilleul qui croît entre deux écorces de bronze ; contraste entre le blanc marmoréen d’une dalle de marbre et le blanc desquamé d’un petit bois de bouleau ; moulage en bronze d’un gigantesque chêne acheté au domaine de Versailles après la tempête de 1999 et qui renaît à la verticale après avoir été abattu par les vents…
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