The Good Business
L’un des success kids de la nouvelle économie prend un chemin de traverse. Réussir sur le web et investir dans la pierre, c’est la nouvelle modernité. Surtout lorsque la pierre abrite des hôtels de luxe. En deux ans à peine, H8 Collection a fait main basse sur sept établissements français et ne compte pas s’arrêter là.
Jean-Philippe Cartier parle vite, raconte comment il a trouvé, en cinq minutes, le nom de son fonds H8 Invest, « H pour holding et 8, parce que c’est mon chiffre fétiche ». Après avoir créé, en 1999, le site pionnier de petites annonces automobiles AutoRelex.com et l’avoir revendu, en 2011, à Axel Springer et Mondadori, Jean-Philippe Cartier fait fructifier sa réussite à travers ce fonds d’investissement. « J’ai quitté l’école à 17 ans », raconte ce self-made man qui a appris à aimer les beaux hôtels et laisse négligemment traîner, dans son bureau, quelques attributs de sa réussite : un sac Berlutti, une boîte Hermès…
Mais sa vraie réussite, c’est d’avoir su s’attacher une garde rapprochée qui l’a suivi dans toutes ses aventures. « Quand on est bon, on s’adapte à tout. » L’appétit de ce quadra est vorace, et ses goûts sont éclectiques. Après l’automobile d’occasion, il s’est intéressé à la radio (MFM, revendue, depuis, au lyonnais Espace Group), au monde de la nuit (relance de Bobino, puis création de l’Arc Paris, cédé en 2012 à Moma Group) et à la promotion immobilière. Il est toujours investi dans les jets privés (avec Wijet) et a participé au lancement de la plate-forme de financement participatif Lendix. Il s’est même offert l’usine de gants de luxe Lavabre Cadet, à Millau, redressée et illico revendue au groupe Camille Fournet.
L’hôtellerie s’est elle aussi imposée sur un coup de cœur. Certes, ce type d’investissement est dans l’air du temps. Alors que les fonds de capital-risque étrangers ont mis la main sur nos palaces, les boutique-hôtels de luxe attirent les banquiers, les hommes d’affaires et autres producteurs de télévision. On a notamment vu s’y essayer Marc Tournier, Xavier Niel, Bernard Arnaud, Valéry Grégo, Patrick Pariente, Stéphane Courbit et Jacques Essebag alias Arthur. Jean-Philippe Cartier a cédé, lui aussi, à la tentation du lit, mais pour des raisons sentimentales.
Jean-Philippe Cartier : un hôtelier 3.0
Voyant l’hôtel de son enfance mis en vente en 2012, il se porte acquéreur du Mas de la Fouque « avec l’idée d’en faire un hôtel de copains ». Puis il se prend au jeu. L’adresse camarguaise devient culte, et c’est au pas de charge qu’il explore le mercato, ciblant des lieux rares. La marque H8 Collection naît en avril 2014, visant des 4 ou 5-étoiles en quête de second souffle, des actifs à revamper. « L’hôtellerie indépendante haut de gamme est vieillissante et en manque d’investissements. »
Il attrape les établissements au lasso et fait du charme aux élus locaux. « Les politiques sont très bienveillants. Ils craignent tellement que leurs hôtels ne trouvent pas de repreneurs… A Castillon-du-Gard, par exemple, des petits restaurants et des galeries ont rouvert autour de nous. Nous apportons de la vie. » En deux ans, il entasse dans sa musette sept adresses en détresse. De quoi commencer à ressembler à un groupe, à imaginer une griffe. Le développement est financé sur fonds propres, avec le concours de partenaires bancaires dont les yeux brillent à la perspective d’une forte rentabilité (jusqu’à 50% de marge brute).
Cet optimiste communicatif au regard bleu acier sait trouver les mots: « Je crois énormément au tourisme et au potentiel de l’industrie hôtelière. On parle de 2 300 000 emplois non délocalisables et de 7,5% du PIB français. » Il ne vient pas du sérail ? Qu’à cela ne tienne ! Il se donne les moyens, ne lésine pas sur les travaux et embauche une décoratrice à plein temps. En hôtelier 3.0, il occupe deux personnes pour le marketing numérique et s’offre le luxe de contourner le site Booking. « J’ai “disrupté” le secteur », se vante-t-il. Plus de 90% des réservations se feraient en direct. Un record qui laisse rêveurs les professionnels. On ne sort pas de quinze ans dans le numérique sans être omniprésent sur le web. Ce qui ne l’empêche pas de surveiller ses acquisitions comme le lait sur le feu et de profiter des week-ends pour faire la tournée des popotes.
Une suite logique d’investissements
Au Mas de la Fouque viendra rapidement s’ajouter, dans un village surplombant le pont du Gard, l’hôtel Le Vieux Castillon, qui perd sa moquette rouge et retrouve le charme de sa pierre blanche. Puis le boutique-hôtel Mathis, à Paris, et son célèbre bar. Le mythique 5-étoiles chamoniard Mont-Blanc, datant de la in du XIXe siècle et rénové par Sybille de Margerie, rejoint le groupe, en septembre 2015. Frantz Taittinger, son propriétaire, a ainsi choisi de s’adosser au groupe H8 et d’en devenir, au passage, actionnaire et administrateur.
La Maison d’Uzès incarne, en 2016, la troisième base provençale, tandis que, plus à l’est, l’iconique hôtel Ermitage, à Saint-Tropez, est acquis en novembre 2016. « Notre envie est de retrouver l’habitude de passer ses week-ends en France. Nous recréons des destinations. » Si le paysage change, le scénario reste le même : raconter une histoire et multiplier les activités de loisirs. Un business secondaire, mais crucial pour améliorer la rentabilité.
Chaque adresse a son symbole : le perroquet Marius du Mas de la Fouque et sa plage privée ; la piscine du Vieux Castillon se transformant, la nuit venue, en salle de projection sous les étoiles… Quant au Domaine des Hauts-de-Loire, il propose une école de cuisine 2 étoiles Michelin dont les clients raffolent (65% sont américains), mais aussi une patinoire et des promenades en vieilles automobiles anglaises. Résultat : il a été élu meilleur hôtel de l’année 2014 par le magazine Condé Nast Traveler. On attend maintenant son spa Carita.
Savoir s’entourer
Miser sur les bonnes personnes fait aussi partie de la stratégie : « Quand j’ai rencontré Pierre Royaux, raconte Jean-Philippe Cartier, il avait 22 ans et il était serveur. Aujourd’hui, il est directeur du Mas de la Fouque. » Les résultats ont, jusqu’à présent, dépassé les prévisions initiales. Le taux de remplissage moyen grimpe à 70% et la clientèle est essentiellement composée d’habitués. H8 Collection thésaurise sur leurs retours, leurs photos postées sur Instagram et sur Facebook. La communauté de fans s’installe sur les réseaux sociaux.
Caché entre la citadelle et la place des Lices à Saint-Tropez, l’hôtel Ermitage est donc la dernière acquisition du groupe. Les 24 chambres meublées vintage de cette villa début de siècle swinguent une joyeuse bohème. Longtemps propriété de Vincent Bolloré, l’endroit atypique et décalé est devenu l’une des destinations les plus exclusives et festives du golfe, conjuguant art, fantaisie et glamour, avec ses chambres parsemées de pièces de design et souvent signées par les amis de passage : Chloë Sevigny, Marc Newson ou Christian Louboutin…
Et après ? « Dix hôtels de plus et 100 millions d’euros de chiffre d’affaires, ça aurait de la gueule », plaisante, à moitié, Jean-Philippe Cartier. Déjà partie prenante de Loulou, la table du musée des Arts décoratifs, à Paris, il lorgne désormais du côté de la restauration. « Pour avoir fait le tour de France comme VRP à 23 ans pour lancer AutoRelex.com, j’ai appris à aimer sa gastronomie ! » Et d’autres projets s’accumulent sur le bureau. VRP ou start-upper, qu’importe : l’essentiel, c’est le mouvement.