Culture
Turin a choisi l’art contemporain pour afficher ses différences. Du 3 au 5 novembre la Veille Dame italienne accueillera Artissima, la plus grande foire italienne dédiée à l'art contemporain. Visite arty de la ville italienne la plus effervescente du moment.
Rome a le Colisée, Florence le Ponte Vecchio, Venise la piazza San Marco, et Turin ? Turin a l’igloo de Mario Merz! Un dôme fait de pierres, de fer et de néons. Une construction un peu branque dont la symbolique, à l’inverse de l’inaltérable Duomo de Milan, est celle de la bricole et du nomadisme. A Turin, l’œuvre de Merz trône au milieu d’une quatre-voies. Rien d’étonnant à cela, dans une ville dont la richesse a longtemps dépendu de l’industrie automobile. Quand toutes les grandes cités italiennes se reposent sur leur passé et leur patrimoine, la capitale du Piémont se distingue, elle, par son sens de la prospective. Par son esprit de rébellion aussi. « Si le mouvement le plus célèbre d’Italie, l’Arte Povera, est né en 1967 à Turin, porté par des artistes comme Mario Merz, Michelangelo Pistoletto ou Giulio Paolini, c’est que cette ville industrielle était travaillée par une fracture très forte entre l’aristocratie de sang et la bourgeoisie d’argent, d’un côté, et, de l’autre, un tissu prolétaire très pauvre, explique Guido Costa, l’un des galeristes les plus anciens de la ville. Cette contradiction a alimenté une nouvelle force esthétique qui s’est manifestée dans ce mouvement qui défiait la société de consommation en promouvant un art pauvre et éphémère. »
C’est de cette révolte de jeunes artistes, soutenue par une bourgeoisie locale plus ouverte qu’ailleurs – Turin est le foyer de Cesare Pavese, d’Italo Calvino, de la maison d’édition Einaudi – qu’est né le goût de cette ville aux façades austères pour toutes les formes d’avant-garde. Dans un pays riveté à la pierre romaine, assujetti à la bulle papale, Turin a mis en place, depuis trois décennies déjà, un réseau d’institutions vouées à l’art contemporain unique en Italie. « Tout s’est mis en place avec la naissance, en 1984, du Castello di Rivoli, raconte la directrice des lieux nommée récemment, Carolyn Christov-Bakargiev. Les artistes et les galeristes de Turin ont donné l’impulsion à ce projet, mais la région et la ville ont soutenu l’initiative, avec l’appui financier d’importants entrepreneurs du Piémont qui étaient de grands collectionneurs. L’idée d’avoir à Turin un musée d’art contemporain d’envergure internationale, en complément de la GAM [Galleria Civica d’Arte Moderna e Contemporanea, NDLR], qui était dotée d’une collection plus historique, a changé le profil de la ville. »
En dépit de sa façade sévère d’ancien château de la famille de Savoie, le Castello di Rivoli s’est vite imposé comme le musée d’art contemporain le plus puissant du pays. Et comme l’un des plus spectaculaires d’Europe, avec son enfilade de salles investies par des installations in situ de Sol LeWitt, Maurizio Cattelan ou Rebecca Horn. La création de cette structure dépendante de la région du Piémont a scellé, dès les origines, une alliance du public et du privé, alliance qui fait aujourd’hui encore la spécificité du tissu culturel de Turin. Que ce soit pour le Castello di Rivoli ou pour d’autres institutions d’art contemporain, les mécènes ont toujours afflué – grands industriels locaux, tel Lavazza, ou grandes banques, comme Intesa San Paolo (à travers la fondation Compagnia di San Paolo) ou UniCredit (à travers la fondation CRT). Cette prodigalité se manifeste dans la richesse des collections turinoises. « Chaque année, la fondation CRT alloue à nos deux institutions jumelées, la GAM et le Castello di Rivoli, un budget important destiné à l’achat d’œuvres », indique Carolyn Christov-Bakargiev, qui a dans sa manche de multiples projets de développement. Le Castello di Rivoli Research Institute est l’un des plus intéressants. Il s’agit d’un centre d’études et de recherches destiné à recevoir et à conserver des archives d’artistes et de commissaires d’exposition, sur le modèle du Getty Research Institute, aux Etats-Unis.
Turin, comme des airs de Detroit
« Avec le déclin de l’ère industrielle, la ville s’est dotée d’un plan stratégique pour se développer autrement et changer son image. Ne pouvant tirer parti du tourisme patrimonial dont bénéficient les autres villes d’Italie, elle s’est tournée naturellement vers l’art contemporain », explique Beatrice Merz, qui dirige la fondation Merz, dédiée en partie à la conservation et à la diffusion de l’œuvre de son père, et en partie à des expositions qui résultent toujours d’une commande spécifique pour le lieu, une ancienne centrale thermique de Lancia. Depuis que Lancia et Fiat ont réduit drastiquement leur production, Turin s’est retrouvée pourvue de nombreux bâtiments désaffectés qui donnent à la ville, dès que l’on sort du centre historique, un petit air de Detroit que seuls les touristes trouvent pittoresque. Plusieurs artistes et galeristes ont saisi l’occasion : Giuseppe Penone a logé son atelier dans un bureau de vente de métaux, Ettore Fico a monté un centre d’art dans une usine électrique, Piero Gilardi a créé un parc expérimental de sculptures sur le site d’une usine d’acier en friche, tandis que le galeriste Franco Noero, l’un des plus puissants de la ville, s’est installé dans un ancien atelier de réparation automobile. C’est le cas aussi d’OGR, une nouvelle structure culturelle créée par la fondation CRT dans un énorme complexe qui assurait autrefois la maintenance des trains du nord de l’Italie.
Transports et art : les passes
Turin est la seule ville en Italie où il existe un passe – Torino + Piemonte Contemporary Card – qui donne accès pour les touristes à toutes ses structures d’art contemporain, ainsi qu’aux bus et au métro. La ville est également dotée d’une autre carte plus généraliste qui inclut tous les musées de la ville et de la région, ainsi que les différentes résidences royales (dont La Venaria Reale, où se trouve le sublime Jardin des sculptures fluides de Giuseppe Penone).
www.turismotorino.org
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