Horlogerie
La puissante firme pétrolière Aramco a bâti pour ses salariés, majoritairement américains et saoudiens, une cité au cœur du désert : Dhahran. La photographe Ayesha Malik y est née, elle y a grandi, et lui rend hommage dans un recueil photo émouvant.
Dans les années 30, l’Arabian American Oil Company, que l’on connaît aujourd’hui sous le nom d’Aramco construisait, en plein désert, une ville entière pour y abriter ses employés, surtout des Américains et des Saoudiens. Son nom ? Dhahran. Cinquante-huit kilomètres carrés de palmiers importés et pelouses verdoyantes qui entourent de belles routes goudronnées bordées de pavillons, tous identiques. Un morceau de banlieue résidentielle californienne en plein cœur de l’Arabie Saoudite où cohabitent, à huis-clos, depuis plusieurs décennies, des milliers de personnes de cultures différentes et que la photographe Ayesha Malik, born and raised à Dhahran, raconte en 150 photographies récentes et archives dans le livre Aramco, Above the Oil Fields.
C’est en 2012, lorsque son père lui annonce qu’il quitte Aramco qu’Ayesha Malik pense à rendre hommage à la ville qu’elle appelle « home ». Pourtant, Américaine d’origine pakistanaise, elle n’a a priori rien à voir avec cette cité en papier mâché perdue dans le désert. C’est là son propos. Dhahran a beau avoir été créée de toutes pièces par des businessmen du pétrole, elle a aujourd’hui une âme, une identité propre, pas tout-à-fait Saoudienne, pas tout-à-fait Américaine. Un cocktail de dizaines de cultures que l’on ne retrouve généralement que dans les mégalopoles, mais aussi dans les photographies de Malik et le long de son entretien fleuve avec Elizabeth Renstrom, photo editor pour Vice, qui complète l’ouvrage.
Lorsque The Good Life lui demande si ce livre délivre un message, où s’il s’agit simplement d’un hommage, Ayesha Malik répond : « Pourquoi pas les deux ? En fait, je ne pense pas que cela change le monde, où fasse avancer les choses, c’est avant tout un poème visuel mais, qui de lui-même est porteur d’un symbole, celui de l’universalité ».
Dhahran, bouillon de cultures en plein désert
Ayesha Malik n’est pas la seule à considérer Dhahran comme son « chez-elle ». C’est aussi le cas de nombreux habitants, de toutes les nationalités. Un fait étonnant, surtout lorsque l’on sait qu’elle a été calquée sur les plans de villes californiennes. « N’est-ce pas l’idéal que l’Amérique essaie de promouvoir ? Ce n’est peut-être pas toujours vrai, surtout en ce moment, mais les Etats-Unis sont une terre de liberté. C’est pareil ici, explique la photographe, les Saoudiens peuvent vivre selon leurs traditions, cela facilite leur attachement à cet endroit. Même s’il ne ressemble pas forcément au reste du pays. »
Une ode au multiculturalisme, certes, mais pas tant de mélanges que cela dans les clichés de Malik. Souvent, les Abayas et les jeans se retrouvent sur le même plan de manière fortuite. Comme si cette cohabitation n’était pas si réelle que cela. « Bien entendu, il existe des moments de coexistence, même d’amitié et de vraies relations entre tous les habitants, peu importe leurs nationalités, assure Ayesha Malik, mais j’ai réalisé que capturer ces instants était trop simple, trop évident, puis je suis toujours gênée par les réactions exagérées des personnes qui regardent ces photos. » Pour elle, voir autant de cultures cohabiter, il n’y a rien de plus normal. « C’est pourquoi j’ai préféré le challenge de réaliser des portraits isolés des habitants, pour mettre en parallèle et sur un pied d’égalité, leurs différents modes de vie, au sein de la communauté. »
Une communauté forte, avec sa propre culture. « Nous nous appelons, entre nous, les Aramcons, cela en dit beaucoup sur les habitants de Dhahran et les liens qu’ils tissent entre eux. » Un cercle très fermé dans lequel Ayesha Malik nous fait entrer avec brio. L’immersion est totale dans la vie derrière les puits de pétrole.
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