The Good Business
Dell est la seule société technologique encore dirigée par son fondateur, Michael Dell. Celui‑ci en a racheté le capital pour sortir l’entreprise de la Bourse et mener sa stratégie en toute indépendance. Il vient aussi de racheter EMC, avec qui il entend former l’un des tout premiers acteurs du monde informatique.
Austin, Texas, 9 heures. Dans la grande salle du Convention Center, les haut-parleurs crachent la chanson des Doors Break On Through (To the Other Side). Pendant ce temps, les écrans font défiler à toute allure des vidéos sur les usages de l’informatique : transport, santé, finance, éducation, commerce… Le rideau s’entrouvre à peine et Michael Dell (@MichaelDell) arrive sur scène. Les 8 000 participants à la convention Dell EMC World lui font une standing ovation. Debout, ils applaudissent à tout rompre. Michael, en costume, le col de chemise entrouvert, sourit (très à l’aise). « Dell est aujourd’hui l’une des toutes premières entreprises de systèmes d’information du monde, commence-t-il. Il y a trente-deux ans, quand je l’ai créée, je n’imaginais pas ce qu’elle deviendrait, et encore moins ce que l’informatique permettrait de faire. L’innovation s’accélère, et cela va continuer : villes intelligentes, voitures autonomes, cancer mieux soigné, livraisons par drone… Le numérique enrichit notre créativité et nous permet de relever de nouveaux défis. »
La salle exulte. Michael Dell est serein. Et il y a de quoi ! Alors que ses principaux concurrents sont à la peine et cherchent presque désespérément la martingale qui les fera renouer avec la croissance, Dell affiche sa bonne santé. Les sociétés historiques du secteur, dont IBM, HPE, Cisco, Intel ou Oracle, perdent du terrain face à Google, Facebook ou Amazon, nés à l’heure d’Internet et de l’informatique dans le Cloud, l’informatique à distance et à la demande. Dell, pour sa part, continue de creuser son sillon et prend des options que d’aucuns jugent iconoclastes, mais qui se révèlent payantes. En février 2013, Michael Dell annonce son intention de sortir la société de la Bourse, où elle est cotée depuis 1988. Il ne veut plus avoir à rendre des comptes tous les trimestres à des analystes et à des actionnaires. En rachetant le capital, il entend avant tout protéger sa société des turbulences que connaît le marché de l’informatique, en général, et du PC, en particulier. Il bataillera pendant plusieurs mois, surtout contre le businessman Carl Icahn, qui refuse obstinément que Dell sorte de la cote, jugeant que l’opération ne rémunère pas assez les actionnaires.
L’indépendance retrouvée de Dell
En novembre 2013, Michael Dell atteint son objectif et reprend le contrôle du capital de la société qu’il a créée trente ans plus tôt. Pour cela, il a reçu le soutien de Microsoft, qui lui a apporté 2 milliards de dollars. Il a également souscrit un emprunt obligataire de 20 milliards de dollars, qui a été sursouscrit, « preuve que les financiers ont confiance dans sa stratégie », commentait alors un analyste du marché. Le fonds d’investissement Silver Lake complète le financement et détient 25 % de la société. Aujourd’hui, Michael Dell ne regrette absolument pas cette décision : « Redevenir une entreprise privée nous donne un vrai avantage financier. Nos ratios sont excellents. Notre endettement nous coûte moins cher que ce que le rachat d’actions coûte à nos concurrents. Et nous pouvons mettre en œuvre une stratégie à long terme. » Autrement dit, Dell n’a plus à répondre aux financiers qui attendent un rendement à court terme et influencent la stratégie de l’entreprise dans ce sens.
Une autre initiative a surpris le secteur. Alors que les principaux acteurs de l’informatique cherchent à se diversifier et à se repositionner sur des segments en croissance, comme l’intelligence artificielle ou Internet, Dell renforce ses positions dans l’informatique pure et dure. Fin 2015, la société a annoncé qu’elle allait racheter EMC pour 67 milliards de dollars. Cette entreprise, américaine elle aussi, fournit des équipements et des logiciels pour les centres de données. « Cette acquisition fait de Dell un fournisseur d’infrastructures de bout en bout, de l’ordinateur portable ou de bureau jusqu’au centre de données, en passant par les réseaux, le stockage, etc. », affirme Anwar Dahab, directeur général de Dell France. Pour financer l’opération, Dell a revendu plusieurs activités non stratégiques et introduit en Bourse une entité spécialisée dans la cybersécurité : SecureWorks. De même, la filiale d’EMC spécialisée dans la virtualisation, VMware, reste cotée en Bourse. Grâce à leur relative indépendance, ces sociétés peuvent continuer de travailler avec tous les acteurs de l’informatique, c’est-à-dire également avec les concurrents de Dell.
Un parcours hors du commun
Aujourd’hui, le nouvel ensemble réalise un chiffre d’affaires de 74 milliards de dollars, avec un effectif de 140 000 personnes. C’est l’une des plus grandes sociétés privées – c’est-à-dire non cotées – aux États‑Unis. Michael Dell détient 70 % du capital et, à 52 ans, il entend bien continuer de diriger la société qui porte toujours son nom. D’ailleurs, il est difficile de séparer l’homme de l’entreprise, et on ne sait jamais, lorsqu’on parle de Dell, si on parle de l’un ou de l’autre. « Dans le secteur informatique, c’est le seul dirigeant à être encore à la tête de l’entreprise qu’il a fondée », souligne Karen Quintos, auparavant directrice marketing du groupe et à présent Chief customer officer, une nouvelle direction dédiée aux clients.
La société est restée fidèle à Austin – son siège social se trouve à quelques kilomètres au nord de la ville, à Round Rock. Mais à présent que les effectifs d’EMC sont venus gonfler ses rangs, il a été décidé de délocaliser sa convention annuelle à Las Vegas, où la capacité hôtelière et de congrès est suffisante pour accueillir les presque 10 000 participants – clients, partenaires et employés –, attendus en 2017.
Dates clés
- 1984 : à 19 ans, Michael Dell crée la société dans sa chambre d’étudiant avec 1 000 $.
- 1988 : la société entre en Bourse, au Nasdaq.
- 1992 : Dell rejoint le classement Fortune des 500 premières entreprises américaines. A 27 ans, Michael Dell devient le plus jeune patron du classement.
- 2001 : Dell devient numéro un mondial des fournisseurs de systèmes informatiques, titre qu’il perdra quand HP rachètera Compaq.
- 2013 : Michael Dell sort la société de la Bourse en rachetant son capital pour 25 Mds $, avec le soutien de Microsoft et du fonds d’investissement Silver Lake.
- 2016 : Dell rachète EMC pour 67 Mds $ ; c’est l’une des plus grosses acquisitions dans la technologie.