Horlogerie
Bien plus qu'un mouvement esthétique et conceptuel, plus dingo que celui de Memphis auquel il a volé la vedette en 1993, le design néerlandais a fait d'une réalité de non-production industrielle une opportunité de marché marketée vendue à prix de galerie. Parallèlement, il a favorisé l'émergence d'un nouveau business‑modèle : celui de designer‑entrepreneur.
Alors que les nationalismes montent en puissance un peu partout dans le monde, il est rassurant, et même réjouissant, de constater que ce qu’on nomme de façon générique le Dutch Design est loin de se limiter à un coup de tampon sur un passeport. A commencer par la formule elle-même, toujours prononcée en anglais, quelle que soit la langue du commentateur. Un signe ! Li Edelkoort, qui a dirigé de 1999 à 2008 cet extraordinaire vivier de talents qu’est la Design Academy Eindhoven – elle figure dans le trio de tête des trois meilleures écoles de design mondiales avec l’École cantonale d’art de Lausanne et le Royal College of Art à Londres –, l’a souvent affirmé : « Le design néerlandais n’est pas un style, mais une façon de penser, et c’est d’ailleurs la raison pour laquelle tant d’étrangers font du Dutch Design. » Un peu comme monsieur Jourdain faisait de la prose sans le savoir, alors ?
Le Dutch Design, un approche décomplexée
Selon Aaron Betsky, théoricien du « miracle néerlandais » qui a un temps dirigé l’Institut d’architecture des Pays-Bas, à Rotterdam, et est actuellement doyen de la Frank Lloyd Wright School of Architecture, « le Dutch Design n’est en aucun cas synonyme de “made in the Netherlands”, pas plus qu’il ne nécessite d’être créé par des Néerlandais. Ce serait d’ailleurs extrêmement dangereux de penser le contraire. Le terme évoque un ensemble d’attitudes et d’approches qui ont émergé sur la scène internationale à la fin des années 80, et dont le collectif à géométrie variable Droog, côté design, ou Office for Metropolitan Architecture, côté architecture, sont les figures les plus emblématiques. Ce que le Dutch Design a apporté au reste du monde, c’est avant tout une manière d’entrer dans les problématiques, une façon particulière de considérer le design comme un projet et non pas comme une production d’objets. Une réflexion viscérale sur la (sur)production et une approche décomplexée et sans nostalgie de la mémoire. D’où l’importance accordée à la seconde vie des produits comme des idées. »
Il en découle un concept de création et de production caractéristique du design néerlandais contemporain et qui s’applique aussi bien à Tejo Remy qu’à Piet Hein Eek, Bertjan Pot, Dirk Vander Kooij ou Maarten Baas : l’upcycling, ou la valorisation des déchets. Aussi brillante qu’ait été, d’un point de vue critique et marketing, l’OPA conceptuelle de Droog Design sur le Dutch Design, on ne peut oublier pour autant le rôle joué par l’architecte et ébéniste de formation Gerrit Rietveld (1888-1964). Ce pionnier par excellence du design néerlandais moderne a signé des sièges iconiques radicalement graphiques, comme le fauteuil Utrecht ou la chaise Zig Zag, et sa Chaise rouge et bleu est une mise en pratique design des approches chromatiques et graphiques de Piet Mondrian. Réalisé en 1919, l’original de son mythique buffet Credenza était constitué d’un simple assemblage constructiviste de planches de bois et se voulait un éloge de la standardisation, voire du conditionnement flat pack qui a fait la fortune d’Ikea par la suite. Il n’en subsiste, hélas, qu’un seul tiroir, l’original étant accidentellement parti en fumée. Un fait divers préfigurant sans le savoir, mais assez ironiquement – un trait de caractère tellement Dutch ! –, la collection Smoke de Maarten Baas, dans laquelle la chaise Zig Zag carbonisée par Maarten Bass figurait en bonne position.
Majoritairement formée à la Design Academy Eindhoven, dont l’aura brille de nouveau au firmament des écoles de design après un petit trou d’air dû au départ de Li Edelkoort, la nouvelle génération se passionne aujourd’hui pour l’hybridation de l’artisanat et de l’impression 3D réalisée par des robots, tandis que le projet de tour antipollution Smog Free, que Daan Roosegaarde vient de développer grâce à l’entreprise américaine de financement participatif Kickstarter, actualise le portrait du designer en jeune business-entrepreneur.