The Good Business
Avec 135 000 habitants en ville et près de quatre fois plus dans toute l’agglomération, Tours atteint de justesse le Top 20 des aires urbaines françaises. Pourtant, sur les bords de Loire, on s’affaire à obtenir le label Métropole French Tech avec des arguments de plus en plus convaincants…
Commençons par un constat : la population numérique de Tours est essentiellement constituée d’entrepreneurs locaux, comme les deux fondateurs de Geovelo, qui n’ont pas déménagé d’abord par attachement à la ville mais aussi parce que les loyers et salaires y sont moins élevés. Pour eux, la proximité avec Paris en train fait de Tours « une bonne base pour voyager partout en France ». Mais il n’y a pas que des Tourangeaux… Prenez Laurent Fortier, co-fondateur de Supersoniks, qui développe une billetterie en ligne novatrice. Il a grandi ici, mais son associé Franck Lollierou s’y est, lui, installé en 1995… pour ne jamais repartir : « La qualité de vie ici et la facilité de déplacement ne nous ont pas incité à déménager… » La petite heure de TGV qui sépare Tours de la capitale est une aubaine pour la ville… Et puis il y a ceux qui ont choisi Tours comme le spécialiste de la data Umanis qui a installé il y a 10 ans une filiale en Touraine : « Il fallait garder une proximité avec nos clients, défend Jean-Philippe Hervé, le responsable de l’antenne tourangelle. Nous avons donc décidé de ne pas nous délocaliser en Inde ou en Chine… Cela garantit la satisfaction du client et l’expertise, tout en optimisant les coûts. »
Les entrepreneurs trouvent donc de bonnes raisons de s’installer et de rester à Tours, comme le prouve la multiplication des start-ups locales. Jean-Philippe Hervé souligne l’importance des « pépinières tourangelles qui favorisent et créent les principaux réseaux d’entraide entre start-ups » mais reconnaît qu’il faut « encore étoffer l’écosystème local ». Sa taille modeste a aussi ses avantages : la solidarité entre jeunes pousses y est forte. Chez Umanis, on met en pratique les principes de collaboration entrepreneuriale : « Le monde est petit dans le milieu de la tech, il faut se serrer les coudes. Nous avons ainsi récemment conseillé une start-up de la ville pour son lancement. » Malgré tout, Franck Lollierou regrette « le manque d’occasions pour les entrepreneurs de se fédérer ».
Comment remédier à l’hétérogénéité des initiatives et au manque de structures pour les jeunes entrepreneurs ? Gaël Sauvanet à sa petite idée : « Le label Métropole French Tech pourrait libérer des fonds, mais surtout encourager les partenariats. » Même son de cloche chez Jean-Philippe Hervé d’Umanis, qui s’enthousiasme à l’idée que cette reconnaissance qui « permettrait d’attirer davantage de nouveaux talents, mais aussi de favoriser les partages d’expériences entre les entreprises, les start-ups, les associations, les écoles… » Cependant ce label n’est pas délivré à la légère et Tours a manqué son rendez-vous l’année dernière en s’associant pourtant avec Orléans, son ennemi héréditaire…
C’est d’ailleurs la question qui fâche quand on la pose à Valérie Secheret, en charge du développement économique de l’agglomération Tours Plus. Selon elle, si le label a échappé aux deux villes « c’est parce que l’écosystème local n’est pas assez mature, trop jeune. Il n’y a pas eu de levées de fonds spectaculaires. » Pourtant, en s’associant avec Orléans pour former le groupe « Loire Valley », la capitale de l’Indre-et-Loire avait mis toutes les chances de son côté. Selon certains journalistes locaux, cet échec n’a fait qu’empirer les relations déjà tendues entre les deux villes ligériennes. Mais l’espoir est de mise pour la prochaine session, prévue pour 2018, avec un nouvel argument de poids : l’imprimerie Mame.
Mame, un totem à la hauteur des ambitions de « Loire Valley »
Située au cœur de la ville, l’imprimerie Mame est un bâtiment industriel des années 50, classé Monument Historique depuis 2000. Pensé par Bernard Zehrfuss et Jean Prouvé, elle répondait à une demande de l’industriel Alfred Mame, qui voulait en faire un lieu de travail révolutionnaire, confortable et pratique. A l’époque, le pari est réussi avec une structure architecturale innovante, des matériaux légers et résistants et des possibilités d’agrandissement quasi infinies.
En 2009, la Société d’Equipement de la Touraine (SET) rachète le tout et engage des travaux. 18 millions d’euros plus tard, l’école des beaux-arts et une trentaine de start-up s’y sont déjà installées, en attendant la fin des aménagements. Des dossiers arrivent tous les jours sur le bureau de Valérie Secheret qui se félicite qu’un endroit si emblématique de la ville (le taxi nous en parle comme l’un des anciens centres névralgiques de la ville, non sans une pointe de nostalgie) soit rendu aux Tourangeaux.
L'imprimerie Mame, le coeur d'un nouveau Tours
Aux alentours de l’imprimerie, c’est tout un quartier qui se transforme, avec de nouveaux logements privés, des résidences étudiantes et des commerces. C’était le but de la SET lors du rachat du site et elle compte bien continuer sur sa lancée en dégageant la vue jusqu’à la Loire. Installer du privé dans une zone historiquement réservée aux logements sociaux, et construire du social dans des quartiers historiquement privés, c’est aussi miser sur la mixité dans un nouveau cœur de ville, projet de longue date de l’agglomération. Créer de nouveaux pôles est urbains est le graal de toutes les villes qui veulent innover mais l’histoire de Tours facilite ces changements. Après-guerre, elle à dû entièrement se reconstruire et créer un nouveau quartier est donc un défi à sa mesure…
C’est le défi auquel s’est attelé Franklin Azzi, l’architecte en charge de la rénovation. Les épais murs qui cerclaient le bâtiment ont d’abord été détruits en accord avec l’organisme en charge des Monuments historiques. Ensuite, chaque mètre carré (plus de 15 000…) a été passé au peigne fin avant de décider de son sort, afin de respecter le travail de Prouvé et Zehrfuss. Un jonglage permanent entre normes de sécurité et conservation du patrimoine qui a abouti à l’inauguration en juin dernier de l’incubateur de start-ups.
Un espace de co-working sous les sheds incroyablement gracieux de Prouvé et deux plateaux de l’ancienne « tour » de l’usine, qui seront à terme réservés aux start-ups exogènes, sont encore vides. Mais les dossiers d’entreprises – notamment des sociétés londoniennes effrayées par le Brexit et des parisiennes désireuses de quitter la capitale – affluent, selon Valérie Secheret. Reste le bureau d’Alfred Mame, un chef d’œuvre d’architecture fifties aux allures de dinner américain greffé sur le toit de l’imprimerie. Pour le moment, Franklin Azzi n’a pas touché à cette partie ultra-sensible du bâtiment. Mais une fois rénovée, elle sera certainement la pièce maîtresse de l’ensemble.
Avec un tel totem et des entreprises locales bien décidées à s’associer avec les start-ups de l’incubateur, la mayonnaise devrait prendre et Tours se placerait alors en candidate idéale pour l’obtention du label Métropole French Tech.