The Good Business
En dix ans, l’ambitieux chantier italien Sanlorenzo s’est imposé comme le deuxième constructeur mondial de yachts. Une croissance remarquable par temps de crise, issue d’une audace entrepreneuriale autant que d’une fidélité aux fondamentaux : la qualité et le classicisme
Le contraste est saisissant. Malgré leur masse énorme (46 mètres de long pour l’un, 52 pour l’autre), les deux yachts en construction semblent presque petits sous les immenses voûtes du hall 1 de l’ancien Cantieri San Marco. Au cœur du port de La Spezia, entre grues titanesques et quai sans fin, ce complexe conçu à l’origine pour bâtir des pétroliers géants concentre désormais la production des superyachts signés Sanlorenzo. Symboles des ambitions de l’étoile montante du yachting italien, ces infrastructures XXL vont permettre au chantier de construire des unités qui atteindront bientôt 80 mètres. Une nouvelle étape pour Sanlorenzo, qui décline actuellement un catalogue d’une douzaine de yachts mesurant de 23 à 64 mètres. L’investissement de 25 millions d’euros destinés à l’implantation de la division superyachts à La Spezia participe des grandes manœuvres lancées par Massimo Perotti, le big boss du chantier. Un carnet de commandes garni, lié à l’augmentation de la taille et du nombre des yachts à livrer, est à l’origine de ce mouvement d’ensemble, qui réorganise totalement les trois sites de production. A La Spezia de construire les grands yachts en acier, dont la taille débute à partir de 40 mètres.
Au chantier de Viareggio, situé à 50 kilomètres au sud, de rassembler la production des unités en fibre de verre de 31 à 42 mètres de long. A celui d’Ameglia, enfin, proche de La Spezia, de concentrer la construction des modèles de 23 à 30 mètres de long. Siège de la compagnie, cette usine-jardin est au cœur du parc naturel régional de Montemarcello. Ce qui ne sera pas un frein pour doubler la surface du site, avec la construction de bâtiments ultra sophistiqués au design d’avant-garde. Un autre projet d’envergure, estimé à 20 millions d’euros, qui devrait être finalisé en 2017.
Un parcours presque sans fautes
Investissements lourds, développement du catalogue, augmentation de la taille des yachts, chiffre d’affaires et résultats positifs, tous les signaux sont au vert pour Sanlorenzo. « Nous sommes le seul chantier de superyachts qui soit bénéficiaire », se félicite Massimo Perotti. Après avoir racheté l’entreprise, en 2005, ce sexagénaire superactif hisse, en 2011, la marque à la troisième place du podium – en nombre d’unités produites par an – des constructeurs de yachts de plus de 24 mètres. La deuxième position est emportée en 2013. Le chiffre d’affaires est quasiment multiplié par 5, passant de 57 millions d’euros en 2005 à 250 millions prévus en 2016. Une croissance remarquable par sa progression linéaire, malgré les trous d’air à répétition qu’a subis le secteur, après le naufrage de Lehman Brothers. La crise de 2008 a en effet été une véritable catastrophe pour l’industrie du yachting mondial. Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Ainsi le groupe Azimut Benetti, l’incontestable leader, passe de 960 millions d’euros de chiffre d’affaires en 2008 à 462 millions en 2010. Avant de remonter à 680 millions en 2015. Plus significative est la chute vertigineuse du géant Ferretti qui, malgré ses marques emblématiques comme Riva, Itama ou Pershing, dévisse, passant de 960 millions en 2008 à 465 millions en 2010, puis 334 millions en 2014. Suivi d’une belle hausse en 2015 pour regagner les 410 millions de chiffre d’affaires. Il est vrai que, pour tous, les affaires reprennent sérieusement.
Parti de loin, San lorenzo affiche un parcours presque sans fautes : 198 millions en 2008, 196 millions en 2010, 208 millions en 2014, puis 220 millions en 2015. Côté carnet de commandes, même satisfecit : 39 yachts signés en 2014, 48 en 2015, puis 54 en 2016, selon le magazine ShowBoats International. Même si l’écart de chiffre d’affaires reste important entre Sanlorenzo et les ténors historiques, il se réduit année après année au niveau de la production. Et puis, surtout, non seulement Sanlorenzo ne perd pas d’argent, fait rare dans le yachting d’après-crise, mais il en gagne. Selon les chiffres du chantier, Sanlorenzo présentait un ebitda (revenus avant taxes et amortissements) positif de 6 millions en 2014. Azimut Benetti était dans le rouge de 11 millions et Ferretti, de 47 millions. Pour 2016, Sanlorenzo prévoit un ebitda de 21 millions et un bénéfice de 10 millions.
Comment expliquer cette trajectoire assez unique ? Tout d’abord par un harmonieux alignement de planètes qui a permis d’associer le nom de Sanlorenzo à celui de Perotti. Fondé en 1958 par Giovanni Jannetti, Sanlorenzo – qui s’appelait alors San Lorenzo – se fait rapidement une excellente réputation avec ses bateaux élégants, classiques et bien conçus. A Viareggio, puis à Ameglia, le chantier suit les évolutions de la plaisance sans succomber aux sirènes de la mode ou de la production de masse. Giovanni Jannetti est un puriste. En 1985, le SL57 est son premier bateau construit en fibre de verre. En 1995, il entre dans la cour des grands avec son yacht de 30 mètres. Giovanni Jannetti est un patron exigeant, mais il est assez peu ouvert à la gymnastique du marketing moderne. Doté d’un fort caractère, il aurait refusé de vendre ses bateaux aux clients qui ne lui plaisaient pas : footballeurs, rock stars. Devenu âgé, le patriarche n’a pas de fils à qui transmettre son œuvre. De son côté, Massimo Perotti, pimpant quinqua, a fait ses preuves chez Azimut. Il en est le directeur général depuis 1992. Vendeur hors pair, il veut voler de ses propres ailes. L’affaire se conclut en 2005. La transmission se passe en douceur. On ne touche pas à l’essence de San Lorenzo, devenu entre-temps Sanlorenzo : qualité, précision, sérieux. Mais le savoir-faire hérité de Jannetti est sérieusement boosté par les méthodes Perotti. Mise à niveau des lignes de production, gammes et séries étoffées, appel à des designers de renom, communication et marketing raffinées et musclées, développement du réseau mondial avec ouverture de bureaux en Europe, aux Amériques et en Asie, événements VIP, récompenses internationales…
Un vivier de main-d’œuvre pléthorique
Sanlorenzo est relancé. Les effectifs évoluent selon la charge de travail : ils passent de 200 personnes en 2004 à 800 en 2007, pour atteindre les 900 employés en 2014. A peine 200 d’entre eux sont des salariés directs, principalement des cols blancs. Alors que les grandes marques souffrent de l’importance de leur masse salariale et sont contraintes à des plans sociaux à répétition, au gré des incertitudes de la dernière décennie, Sanlorenzo recourt exclusivement à la sous- traitance. Électriciens, peintres, ébénistes, motoristes ou soudeurs : dans les trois immenses halls de l’usine de Viareggio, tous les corps de métiers grimpent sur les échafaudages qui ceinturent les sept imposants modèles de trente à quarante mètres, actuellement à différentes étapes de fabrication. L’antre de ces futurs joyaux des mers, encore à l’état de chantier, a tout de la ruche bourdonnante, dans laquelle les équipes se croisent et cohabitent selon leur propre cahier des charges. Chez Sanlorenzo, l’emploi de la sous-traitance combine la souplesse de la gestion des ressources humaines avec la facilité de trouver une main-d’œuvre experte. Un vivier pléthorique sur cette partie de la côte est italienne, entre Gênes et Livourne, qui est le berceau de la construction navale transalpine. De quoi fournir en bras et compétences les nouvelles lignes de production d’Ameglia, qui doivent à (court) terme sortir une cinquantaine d’unités chaque année, celles de Viareggio, avec une quinzaine de grands yachts prévue, ainsi que celles de La Spezia, qui doivent produire entre six et huit très grands bateaux. Aujourd’hui, les yachts signés Sanlorenzo se déclinent en gammes SL (yachts sportifs à carène planante, de 23 à 36 mètres), SD (yachts à semi-déplacements de 28 à 38 mètres, moins rapides, mais plus autonomes) ou Superyachts (de 40 à 64 mètres).
Côté tarifs, le premier prix débute à 5,3 millions d’euros pour le SL78. « Nous sommes 30 % plus chers que la concurrence, assume Mario Gornati, directeur de la communication depuis dix ans. Notre approche est différente de celle des autres marques de yachts. » Agréable, chemise bleue coupée par le meilleur tailleur et réalisés sur mesure. On appelle cela du custom, « ce qui va bien au-delà du seul choix des couleurs des coussins et des rideaux que proposent nos concurrents », soutient Mario Gornati, fanfaronnant un peu. Ce parti pris pour un certain classicisme se panache avec un vrai talent pour l’innovation. Une autre force du chantier italien. Lancé en 2007, le Sanlorenzo 40 Alloy est le premier yacht à être équipé d’un pavois à franc-bord rabattable, pour créer de véritables terrasses au-dessus de la mer. Neuf modèles sont vendus. Et le procédé est largement repris par la concurrence. L’élégantissime idée de garnir de teck le plafond du salon arrière de ses yachts devrait aussi inspirer d’autres acteurs. Dernière innovation : le lancement d’un SL106 avec un système de propulsion hybride. Totalement dans l’air du temps, cette nouveauté a été présentée lors des Elite Days, organisés en mai dernier dans la très chic baie de Portofino. Tapis rouge et fines bulles pendant deux jours pour 450 VIP du monde entier, reçus dans les meilleures conditions pour découvrir – entre cocktails et dîners de gala – l’ensemble de la flotte, les nouvelles créations et les projets du chantier. Autant de clients et de prospects venus constater la forme éblouissante du numéro deux du yachting mondial.
6 questions à Massimo Perotti
Président de Sanlorenzo et propriétaire de 56 % des parts du chantier italien.
The Good Life : Pouvez-vous nous renseigner sur le turnover du chantier, ses bateaux, et sur le nombre d’unités produites chaque année, lorsque vous avez racheté Cantieri San Lorenzo en 2005, et aujourd’hui ?
Massimo Perotti : Depuis 2005, le chantier a connu une croissance extraordinaire, tout en conservant sa capacité à personnaliser chaque bateau pour qu’il soit unique. En moins d’un demi-siècle (depuis 1958), Sanlorenzo avait construit plus de 700 yachts, tous différents. Lorsque j’ai acquis la société, en 2005, le chiffre d’affaires était de 40 millions d’euros pour une production de seulement 10 yachts par an. Le chiffre d’affaires est passé de 57 millions, en 2005, à 220 millions en 2015, avec une production réelle d’environ 48 yachts par an.
TGL : Comment expliquez-vous ce succès, cette progression quasi constante malgré la crise de 2008 ? Y a-t-il un secret Perotti ?
M. P. : L’une des particularités de Sanlorenzo est d’avoir su maintenir et développer ses valeurs fondamentales : personnalisation maximale, main-d’œuvre hautement qualifiée et expérimentée, sens du détail poussé à l’extrême. Chaque Sanlorenzo est unique. Il résistera à l’épreuve du temps et de la mer. Notre secret ? Un design intemporel, caractérisé par l’élégance des lignes et par la sophistication des intérieurs.
TGL : Pouvez-vous nous parler de vos grands projets ?
M. P. : L’année 2016 est riche de projets. Nous prévoyons une croissance du chiffre d’affaires de 15 %. Un résultat lié à un investissement de 30 millions d’euros dans des projets tels que la conception du premier yacht hybride, l’expansion de nos trois chantiers navals, ainsi que notre développement sur une autre entité, dédiée au service et à la réparation navale.
TGL : Comment analysez-vous le marché actuel du yachting international en général ? Sommes-nous sortis de la crise ?
M. P. : Notre industrie a été affectée par une crise sans précédent. Le chiffre d’affaires mondial s’est effondré de 13 milliards à 5 milliards de dollars. Aujourd’hui, les choses commencent à se redresser, mais nous sommes encore aux premiers stades de la reprise.
TGL : Quels sont, pour Sanlorenzo, les marchés de croissance ?
M. P. : Notre rayon d’action n’a jamais été aussi mondial. D’une part, nos marchés traditionnels (Russie, Chine et Emirats arabes unis) sont très calmes en ce moment, ce qui n’est pas une surprise vu la situation économique difficile à laquelle ces pays sont confrontés ; d’autre part, des signaux de plus en plus positifs viennent des marchés matures tels que ceux du vieux continent : Espagne, France et Italie en particulier. Des pays de forte tradition nautique.
TGL : Comment voyez-vous Sanlorenzo dans dix ans ?
M. P. : Notre plus grand développement s’orientera dans ce que nous appelons le « service design » : nous allons continuer à allier tradition et innovation pour toujours mieux comprendre et anticiper les attentes de nos clients. Cette attitude « sur mesure », un réflexe qui fait partie de l’essence de Sanlorenzo depuis 1958, est pour nous synonyme d’élégance et de personnalité.
Yachting et capitaux chinois
Sanlorenzo Spa est aujourd’hui majoritairement contrôlé par son président, Massimo Perotti, qui détient 56 % des parts. En 2013, le chinois Sundiro Group acquiert 23,3 % du capital pour un montant de 25 M €. 16 % de Sanlorenzo sont aux mains du Fondo Italiano d’Investimento (État italien). Le reste du capital est détenu par le management. L’arrivée d’investisseurs chinois dans le yachting a été particulièrement importante depuis la crise de 2008. Laminé par une dette colossale, le géant Ferretti (avec ses marques telles que Ferretti Yachts, Riva, Pershing, Custom Line et CRN) était au bord de la banqueroute lorsqu’il a été majoritairement racheté, en 2012, par le chinois Weichai, pour un montant de 374 M €. Autre grand acteur : le britannique Sunseeker est depuis 2013 aux mains du milliardaire chinois Wang Jianling. Le propriétaire du groupe Wanda s’est offert 92 % de la belle anglaise pour 320 M £ (env. 411 M €). Chez Sanlorenzo, la présence minoritaire d’un acteur chinois est considérée comme un atout pour le développement international de la marque. Dans ce sens, Sundiro a racheté 10 % de Simpson Marine, le plus grand réseau de distribution de bateaux en Asie. C’est donc aujourd’hui naturellement Simpson Marine qui représente Sanlorenzo dans la zone Asie-Pacifique.