Horlogerie
Volubiles (souvent) ou discrets (parfois), les designers israéliens qui ont pris le chemin de l’exil européen ou américain pour mieux approfondir et pratiquer leur discipline sont parvenus à séduire un nombre impressionnant d’éditeurs. Quant aux designers israéliens qui n’ont pas pris la route de l’exil faute d’éditeurs locaux, ils n’en font pas moins rimer expérimental avec artisanal, théorique avec critique.
La diaspora superstar
Ron Arad
Ron Arad est sans conteste la figure tutélaire du design israélien. Après des études d’art, à Jérusalem, et d’architecture, à Londres, il a fait irruption dans le monde du design-art avec un ready-made en pleine époque Thatcher : la Rover Chair (1981). Bingo ! Jean Paul Gaultier sera son premier acheteur. Suivra la Well Tempered Chair, réinterprétation brutaliste en acier de cet archétype du confort British qu’est le fauteuil club. Jolie boucle pour un designer qui les aime tant, puisque ce même siège donnera naissance, des années plus tard, à une version sérielle et confortable, cette fois, en polyuréthane et textile : le Big Soft Easy, édité chez Moroso. Pour fêter leurs vingt-cinq années de prolifique collaboration, Patrizia Moroso lui a d’ailleurs consacré l’exposition Spring to Mind, ce printemps. L’occasion de revoir les canapés Misfits (très Pierre Paulin, à la réflexion…) ou Victoria and Albert. Pendant ce quart de siècle, Ron Arad a également enseigné au Royal College of Art, à Londres, et conçu quelques sièges culte pour le nec plus ultra des marques de design, comme les fauteuils Clover (Driade), Tom Vac (Vitra) ou Ripple (Moroso). S’y déploie la forme qui lui est associée par excellence – le ruban – et qu’il explore autant en design (la bibliothèque Bookworm de Kartell, qui est sans doute sa création la plus connue du grand public) qu’en architecture. La preuve ? Les cinq rubans en Corten du Design Museum d’Holon enroulés en spirale semblent bien partis pour faire du bâtiment un autre Guggenheim, dans le fond, comme dans la forme.
Dror Benshetrit
Né en Israël, diplômé de la Design Academy d’Eindhoven et basé à New York, Dror Benshetrit se distingue par son audace entrepreneuriale à la Ora-ïto, avec qui il partage la conviction que les images de synthèse léchées sont de formidables alliées pour vendre des projets au stade conceptuel. Et par là même – ce qui est discutable – qu’on peut jouer à l’architecte sans être architecte. C’est d’ailleurs ce qui s’est passé en 2008 avec Nurai, une série de villas posées sur la mer à Abou Dhabi, qu’il a imaginées et coordonnées à distance. Sa passion croisée pour la géométrie, pour la physique et pour la poésie se lit aussi bien dans son fauteuil Peacock, édité par Cappellini, que dans son innovant système de « briques » de construction multi-usage QuaDror. Particulièrement prometteuse pour les architectures d’urgence, cette ingénieuse pièce constituée de quatre éléments en forme de L a reçu une ovation à la conférence Design Indaba de 2011 et fait office de tréteaux graphiques pour la table QuaDror 03 (Horm.it), prix Red Dot Design 2016.
Nitzan Cohen
Après avoir grandi dans un kibboutz, étudié l’art à Tel-Aviv puis le design à Eindhoven, Nitzan Cohen a été, pendant cinq ans, directeur de projets dans le studio de Konstantin Grcic, à Munich, avant d’établir le sien à Milan, en 2007. Une succession d’expériences fort différentes, qui expliquent son aisance pluridisciplinaire et son approche rigoureuse du design. Une philosophie de création qu’il enseigne au HBK Saar de Sarrebruck, en Allemagne, à la Haute École d’art et de design de Genève, en Suisse, et à l’Université libre de Bolzano, en Italie. Si BMW, Authentics et Diesel figurent parmi ses clients consulting, c’est Mattiazzi (pour qui il assurait la direction artistique jusqu’à l’an dernier) qui lui a permis d’explorer sa typologie de produits préférés : les sièges. D’où sa très japonisante chaise Solo, et Uffici, un fauteuil de bureau en bois et résille technique fluo présenté au Salon du meuble à Milan l’an dernier.
Ron Gilad
Né à Tel-Aviv et diplômé de l’école des beaux-arts de Bezalel, Ron Gilad a commencé par enseigner la 3D et le design conceptuel au Shenkar College, à Ramat Gan, avant d’établir son studio à New York. Il vit aujourd’hui entre Tel-Aviv et Milan. Qu’il s’agisse de pièces uniques ou de produits conçus pour les meilleurs éditeurs italiens (Molteni, Flos, Alias et Cassina), ses créations, souvent minimalistes dans la forme et, surtout, déconstructivistes dans le fond, questionnent les relations entre fonction, abstraction et émotion. Si son nom était sur toutes les lèvres en avril dernier après sa première collaboration très réussie avec Cassina (l’inédite série de miroirs graphiques Deadline), sa création la plus connue du public reste incontestablement son lustre Dear Ingo (Moooi), qui, comme son nom l’indique, est un vibrant hommage au formalisme poétique de cet autre électron libre qu’est Ingo Maurer.
Arik Levy
Pluridisciplinaire et prolifique, Arik Levy est le plus parisien des designers israéliens et avoue que l’ambition est l’un de ses moteurs de prédilection. Passionné de science et d’innovation, il aime aussi endosser le rôle de l’artiste (il vient de créer une sculpture monumentale officielle pour le musée de l’Hermitage, à Saint-Pétersbourg, et ses Rocks l’ont rendu célèbre à l’international). Lister toutes ses collaborations design est impossible, mais la short list comprend Ligne Roset, Vitra, Emu, Danese, Serralunga, Molteni & C, Zanotta, Living Divani et Lasvit. Short list à laquelle on aurait pu ajouter la collaboration avec la maison de cognacs Hennessy. Et s’il ne fallait retenir qu’une typologie de produits, on voterait pour ses luminaires, et en particulier pour les poétiques lustres en tuiles de cristal Froze et Piccadilly qu’il a imaginés pour Baccarat.
Raw Edges (Yael Mer et Shay Alkalay)
Diplômés de Bezalel, puis du Royal College of Art, à Londres, où Ron Arad a été l’un de leurs professeurs, Yael Mer et Shay Alkalay ont fait irruption sur la scène design en 2008 avec Stack (Established & Sons), un chiffonnier à multiples tiroirs aux teintes subtilement dépareillées. Une pièce iconique, aussi équilibriste que celle de Shiro Kuramata. L’élégante sensibilité chromatique du duo s’exprime également dans les tabourets Tailored Wood (Cappellini), dont la silhouette de bateau en papier est exposée au MoMA. Couleur, enfin, avec Herringbones – l’un des buzz de Milan 2016 –, un procédé expérimental de teinture sur bois initié pour les parquets des boutiques de Stella McCartney.
La scène locale
Bakery
Bakery n’est pas une énième boulangerie sans gluten près du canal Saint-Martin, à Paris, mais un jeune studio de design établi en 2009 à Tel-Aviv par Gilli Kuchik et Ran Amitai, tous deux diplômés de Bezalel. Un an plus tard à Milan, NOM (Nature of Material), innovant prototype de tabouret en origami d’aluminium, a tapé dans l’œil de Giulio Cappellini, qui a aussitôt décidé de l’éditer. Simple comme du bon pain !
Naama Hofman
Formée au design industriel à Tel-Aviv, Naama Hofman se définit comme quelqu’un qui crée, non pas des lampes, mais « des objets qui contiennent de la lumière ». Une formule à la fois simple et conceptuelle, qui fait parfaitement écho à ses réalisations minimalistes – une simple structure tubulaire en acier, comme dans le mobilier Bauhaus de Marcel Breuer, habillée partiellement d’un tube en acrylique dans lequel sont glissés des rubans de LED – en vente, entre autres, dans le concept-store berlinois d’Andreas Murkudis.
Yaacov Kaufman
Né en Russie et établi en Israël depuis 1957, Yaacov Kaufman – qui enseigne à Bezalel – partage le reste de son temps et de son énergie entre son activité de designer industriel – fauteuil Virgola pour Arflex, lampes pour Lumina Italia – et ses propres recherches formelles, qu’il édite notamment par le biais de sa start-up Gaga & Design. L’an dernier, le musée du Design d’Holon a exposé 450 prototypes artisanaux que Yaacov Kaufman a réalisés au cours des huit dernières années, dont un nombre impressionnant de tabourets. Une façon de souligner combien l’intérêt pour les objets et les matériaux les plus modestes et quotidiens fait partie intégrante de l’ADN du design israélien.
Pini Leibovich
Prenant le contrepied de l’image des designers stars, Pini Leibovich a commencé sa carrière en tant que designer industriel dans une société israélienne spécialisée dans le plastique (Keter). C’est sans doute cette familiarité avec ce matériau bon marché – un parti pris de création non négociable chez lui –, couplée à la volonté de célébrer les petits bonheurs du quotidien, qui a présidé à la naissance de sa série Happy Material. Paradoxe à la Campana : son iconique fauteuil constitué de plus de 50 000 ballons de baudruche non gonflés a été exposé aussi bien au Cooper-Hewitt, Smithsonian Design Museum, à New York, qu’au musée du Design d’Holon.
Ayala Serfaty
C’est à l’issue d’une séance de plongée en mer Rouge, il y a plus de vingt ans, qu’Ayala Serfaty a imaginé des lampes et des sièges en fibres de lin, de laine et de soie feutrées qui sont autant d’anémones de mer, de coraux ou d’holothuries magnifiés. Soma, sa dernière collection biomorphique de sculptures lumineuses en tiges de verre soufflé recouvertes d’un spray de polymère seconde peau, a eu les honneurs du Metropolitan Museum of Art, à New York, et ceux du musée des Beaux-Arts de Houston ou de la galerie BSL, à Paris.
Ezri Tarazi
Théoricien, directeur du département design de Bezalel, ex-associé d’Ideo – spécialisée dans l’innovation – et consultant pour Microsoft, Intel ou Keter, Ezri Tarazi est l’une des figures les plus respectées du design israélien. Dans le contexte moyen-oriental certes, mais aussi international, la discipline ne peut, à ses yeux, être exempte de message géopolitique. Il s’est donc attaché à mettre le sujet sur la table, au sens propre comme au sens figuré. Éditée par Edra en 2005, sa table Baghdad se présente comme une maquette 3D de la capitale irakienne en dentelle d’aluminium extrudé. Une réflexion prolongée l’an dernier par Jerusalem, une série de neuf pièces uniques dessinant les contours de la Vieille Ville et soulignant, par le biais de neuf matériaux et techniques, la diversité culturelle, religieuse et géographique du lieu. Son dernier opus, la table Halab is Gone, dénonce la destruction d’Alep.
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