Culture
A la tête du restaurant Cheval Blanc, à Bâle, le chef Peter Knogl est de ceux qui se tiennent en dehors de l’agitation médiatique qui secoue le monde de la gastronomie. C’est un choix, mais surtout un état d’esprit propre à ces chefs qui sont avant tout des cuisiniers. Et l’obtention d’une troisième étoile n’y change rien.
La cuisine de Peter Knogl semble bien étroite pour son imposante carrure. Une petite cuisine pour un grand chef qui préfère la tranquillité de son poste de travail à la notoriété que lui confèrent ses trois macarons dans l’édition suisse du guide Michelin. Comme le sont ces grands chefs d’Europe centrale, cachés dans les montagnes ou en forêt, ce grand blond cultive la discrétion, à l’abri dans l’établissement historique du Grand Hôtel Les Trois Rois, où le temps défile plus lentement encore que les eaux vertes du Rhin qui le borde. La première mention faite des Trois Rois remonte à 1681. Le bâtiment actuel, qui date de 1844, a été rouvert en 2006 après deux années d’une rénovation complète, entreprise par son nouveau propriétaire, Thomas Straumann, milliardaire qui a fait fortune dans les implants dentaires. Un an après la réouverture, Peter Knogl est invité à succéder au chef en place. Né en Bavière, dans une famille de restaurateurs, il fait son apprentissage auprès d’Heinz Winkler (chef du Residenz, à Aschau, en Bavière), devenu son mentor, puis s’imprègne de saveurs plus méditerranéennes à Majorque, à Nice et à Marbella, avant un retour en Allemagne en 2003, puis un poste de chef dans un hôtel près de Vevey, en Suisse. « Je n’avais quasiment jamais mis les pieds à Bâle ; je ne connaissais même pas cet hôtel. En arrivant, j’ai tout changé : le concept, la cuisine, le staff, le service. Je voulais en faire un 3‑étoiles, un restaurant qui marche, fréquenté. » Six mois après son arrivée, il décroche sa première étoile Michelin, puis une deuxième l’année suivante, et, enfin, une troisième en 2015 et une note de 19 sur 20 dans le Gault & Millau. La trentaine de convives, essentiellement locaux, s’attable donc midi et soir sous le grand lustre et entre les murs aux couleurs pastel du Cheval Blanc. Des habitués, des businessmen, qui s’expriment indifféremment en français, en allemand, en anglais ou en italien, à l’image de cette ville à la fois provinciale et cosmopolite, une zone neutre à la croisée de trois frontières où s’entremêlent les cultures. Dans ce contexte, le concept de terroir ne signifie pas grand-chose, alors, sans complexes, Peter Knogl sert ce qu’il veut dans ses assiettes, les meilleurs ingrédients de toutes origines, et les goûts qu’il aime et a glanés tout au long de son parcours.
Des plats mémorables qui font un 3-étoiles
Au fil de son menu dégustation, on voyage de l’Espagne au Japon, en passant par le Maroc et la France. De manière subtile, avec la maîtrise des saveurs pour lien entre toutes ces propositions, une modestie dans le propos et dans la présentation. Pas de story-telling ni de discours, juste l’essentiel : un savoir-faire classique, qui respecte les codes d’une gastronomie trois étoiles consensuelle. Dans l’assiette, tout est clair et lisible: kingfish (thazard) et avocat, écume d’artichaut au foie gras, rouget aux écailles croustillantes, pigeon de Bresse et mousseline de carottes… avec, pour chacun de ces plats, l’élément aromatique et exotique qui le sublimera : miso, parmesan, ail noir, safran, épices marocaines. Et qui désire du local se tournera vers de jolies bouteilles issues des régions avoisinantes : Alsace, Valais, Grisons, Tessin et Jura. « Les gens qui viennent ici sont plutôt conservateurs. Ils ne veulent pas de show, ni de défilé de vingt plats avec le service qui vous dérange toutes les cinq minutes, mais simplement de bons produits et du goût. Et certains reviennent pour des plats spécifiques qu’ils aiment. Je change très peu ma carte, et uniquement si un nouveau plat est meilleur que ceux qui s’y trouvent déjà. Des plats mémorables, voilà ce qui fait, selon moi, un trois-étoiles. » Travail, constance, discrétion. Des valeurs sûres et… suisses.