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Le quartier d’affaires de Francfort, où siège la Deutsche Bank.
veronica

The Good Business

Deutsche Bank : grandeur et décadence cotées

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Personne n’aurait pu imaginer voir un jour s’écrouler ce qui a le mieux représenté la puissance allemande pendant la seconde moitié du XXème siècle. Pourtant, la Deutsche Bank s’est bel et bien pris les pieds dans l’épais tapis qu’elle foulait. Incroyable !

Il est rare que de grands patrons fassent leur mea culpa, pour ne pas dire exceptionnel. Alors voir l’un d’entre eux se payer une pleine page de publicité dans les dix journaux les plus importants d’Allemagne pour publier une lettre signée de sa main, dans laquelle il reconnaît « les fautes graves » de son groupe, est presque sans équivalent. En février dernier, John Cryan, le patron de la Deutsche Bank (DB), a ainsi tenu à « s’excuser sincèrement des erreurs sérieuses » commises par un « nombre relativement faible d’employés » de son empire durant les dernières années. L’adage dit qu’une faute avouée est à moitié pardonnée… Pour autant, il n’est pas certain qu’une lettre suffise à expier tous les péchés de la banque francfortoise…

Deutsche Bank : la folie des grandeurs

L’histoire de la Deutsche Bank est celle d’un fleuron national qui est devenu la honte de tout un pays. Tel Icare, l’établissement s’est brûlé les ailes en voulant s’approcher trop près du soleil. Son histoire pourrait s’intituler « Grandeur et décadence ou comment de riches provinciaux attirés par les lumières de la ville ont joué aux apprentis sorciers en confiant les rênes de leur carrosse à des cochers grisés par la vitesse et par l’argent ». Certains chiffres en disent plus qu’un long discours. Entre mai 2007 et septembre 2016, le cours en Bourse de la plus grande banque allemande a été divisé par… dix, passant de 92 euros à moins de 9 euros. Le titre a depuis repris un peu de couleur, mais, avec une valorisation proche de 15 euros, les actionnaires ne sont pas prêts de récupérer les mises qu’ils ont investies avant l’éclatement de la crise des subprimes. Le groupe n’est de toute façon toujours pas sorti de l’ornière dans laquelle il s’est précipité. L’an dernier, ses pertes ont atteint 1,4 milliard d’euros ! Ce trou béant n’est rien comparé au déficit sans précédent de 6,8 milliards d’euros enregistré en 2015. Pour tenter de garder la tête hors de l’eau, John Cryan a annoncé, en mars, des mesures qu’il s’était promis de ne pas prendre.

Les traders de la Deutsche Bank à Francfort.
Les traders de la Deutsche Bank à Francfort. DR

L’ancien directeur financier d’UBS s’est tout d’abord résolu à lever 8 milliards d’euros d’ici à 2018 afin d’afficher un ratio de solvabilité supérieur aux 12,5% exigés par le superviseur bancaire. Faute de repreneur, il s’est aussi résigné à conserver le réseau de détail Postbank, que son prédécesseur avait racheté, en 2009, pour 6 milliards d’euros environ. Un prix astronomique pour une enseigne qui possède beaucoup trop d’agences à l’heure du succès de la banque en ligne et qui souffre, comme ses rivales, des taux bas. Pour tenter de redresser sa banque de détail qui compte 20 millions de clients en Europe, la DB a préparé un plan de relance dont le coût devrait approcher 1 milliard d’euros. Dans la banque d’investissement, les activités de négoce sur les marchés et de conseil en restructuration, qui avaient été scindées il y a un an et demi, se retrouveront de nouveau dans une seule et même division. Ces mesures suffiront-elles à solder les comptes du lourd passé de l’établissement ? Aucun analyste n’en est persuadé.

Le siège de la Deutsche Bank à Francfort.
Le siège de la Deutsche Bank à Francfort. DR

Aujourd’hui encore, le groupe est poursuivi dans 8000 affaires judiciaires (!) aux quatre coins du monde. Ces vingt dernières années, il ne semble pas qu’il existe un scandale financier dans lequel il n’a pas été impliqué. En 2003, la banque a utilisé un programme informatique illégal pour manipuler le marché des devises. Deux ans plus tard, ses commerciaux ont vendu à des clients d’énormes quantités de créances douteuses. La même année, le groupe a écoulé auprès de PME et de municipalités allemandes d’importants portefeuilles de produits dérivés qui ont engendré de lourdes pertes. A partir de 2008, ses conseillers ont aidé des citoyens américains à cacher leurs avoirs détenus en Suisse. Un an plus tard, la Deutsche Bank a cherché à réduire ses taxes en trafiquant des certificats d’émissions de CO2. Certains de ses traders ont aussi été impliqués dans la manipulation du principal indice de la Bourse de Séoul. Ils ont également aidé des oligarques russes à sortir du pays l’équivalent de 10 milliards de dollars de liquidités en toute illégalité. La banque a parallèlement manipulé le taux interbancaire Libor et son nom est cité dans de nombreuses transactions conclues entre 1999 et 2006 avec des nations comme la Libye, l’Iran, la Birmanie, la Syrie, Cuba et la Corée du Nord, qui étaient soumises à des sanctions américaines et européennes. A Wall Street, le groupe misait sur la baisse de produits financiers qu’il avait vendus à ses propres clients. Le trader Greg Lippmann, qui se targuait de transformer « de la merde en or », a ainsi parié 5 milliards de dollars contre des produits qu’il avait lui-même écoulés à des investisseurs. Son histoire et celle de certains de ses collègues sont retracées dans le film Le Casse du siècle, avec Brad Pitt, Ryan Gosling et Christian Bale. Mais comment une banque, dont le nom était synonyme de respectabilité et de solidité, a-t-elle pu se transformer en requin de la finance dénué de scrupules ? Un retour en arrière s’impose…

Catch me if you can !

Dans les années 80, la Deutsche Bank était l’actrice la plus importante de l’économie allemande. Elle possédait des participations dans la plupart des sociétés majeures du pays. Ses employés siégeaient au conseil d’administration de 400 entreprises locales. « Sans la banque, rien ne fonctionnait, résume l’hebdomadaire Der Spiegel. La Deutsche Bank était l’Allemagne, Germany Inc., un petit Etat dans l’Etat. » L’établissement restait toutefois très germano-allemand. La plupart de ses dirigeants ne parlaient pas un mot d’anglais et ses activités à la City et à Wall Street étaient modestes, pour ne pas dire inexistantes. En 1989, l’arrivée d’Hilmar Kopper à la présidence, après l’assassinat d’Alfred Herrhausen par la Fraction armée rouge, marque un tournant dans l’histoire de la banque. En 1994, lors d’une réunion à Madrid, les dirigeants décident de transformer leur groupe en un poids lourd mondial de la banque d’investissement. Après des galops d’essai en Italie et en Espagne, l’établissement débarque à Londres et à New York. Pour obtenir une taille critique respectable du jour au lendemain, les Allemands recrutent à prix d’or une armée de banquiers d’affaires britanniques et américains. Leur objectif est de gagner au plus vite un maximum d’argent en utilisant les produits financiers les plus complexes et les plus opaques du marché.

L’imposant immeuble de la Deutsche Bank à Hong Kong.
L’imposant immeuble de la Deutsche Bank à Hong Kong. DR

A Francfort, les « patrons » ne comprennent pas vraiment ce que font leurs traders basés à la City et à Wall Street, mais tant que les bénéfices qu’ils engrangent gonflent, ils ne trouvent rien à redire. Les « loups » de la Deutsche Bank s’aperçoivent bien vite qu’ils peuvent spéculer en toute liberté, sans avoir de compte à rendre. Ancien de Merrill Lynch, Edson Mitchell est recruté, en 1995, avec cinquante de ses plus proches collaborateurs pour créer la division Global Markets. Petit, rouquin et grand fumeur, ce passionné de basket était surnommé « le Requin » et « Terminator ». A un salarié allemand qui lui demandait son nom, il répondit un jour: « Je suis Dieu. » N’hésitant pas à prendre le Concorde pour aller voir son dentiste aux Etats-Unis, il avait l’habitude d’inviter ses troupes à Phuket, en Thaïlande, ou au lac Majeur, en Italie, pour fêter certains « deals » en grande pompe. Sa mort, le 22 décembre 2000, dans un accident d’avion, n’a rien changé aux habitudes des traders de la DB. Son remplaçant, Anshuman Jain, est un Britannique né en Inde qui voue un véritable culte à son prédécesseur. Son arrivée en 2001, et la nomination, l’année suivante, du Suisse Josef Ackermann à la tête de la DB ont accéléré la fuite en avant du groupe dans la banque d’investissement, qui générait plus de 70% des bénéfices de sa maison mère en 2007.

A Vienne.
A Vienne. DR

Grisés par ces chiffres, les dirigeants se montrent très généreux avec leurs « requins » de la finance. Entre 1994 et 2015, le nombre de salariés du groupe augmente de 30% et les salaires explosent de 200%, pour atteindre 13 milliards d’euros. Une bonne partie de cet argent est versé aux fidèles lieutenants d’Anshuman Jain qui, selon Der Spiegel, aurait gagné à lui seul entre 300 et 400 millions d’euros durant sa carrière pour le géant allemand. En 2015, 756 des 100 000 salariés de la banque ont touché plus de 1 million d’euros. La crise n’a pas vraiment modifié ces montants : en 2002, 75 000 banquiers ont été remerciés à Londres et à New York. Merrill Lynch et Goldman Sachs ont notamment réduit leurs effectifs, tandis que la Deutsche Bank continuait à recruter. Entre 2001 et 2015, la division Global Markets de la DB a amassé environ 25 milliards d’euros de bénéfices nets. Mais le groupe a déjà dû verser 12 milliards d’euros d’amende à ce jour, et les analystes pensent que la note finale pourrait dépasser la totalité des profits amassés en quinze ans. Quant à son cours en Bourse, il a atteint, en 2016, des tréfonds inconnus depuis les années 80. Grandeur et décadence…

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