×
En 2014, la rédaction du quotidien a fusionné avec la chaîne de télévision CBN. Leurs locaux sont désormais situés dans le centre de Shanghai, dans une tour de 21 étages.
melanie

The Good Business

China Business News, le quotidien économique référence à Shanghai

The Good Business

En a peine plus de dix ans, le China Business News est devenu « la » référence économique pour l’ensemble des décideurs, universitaires et hauts fonctionnaires chinois. The Good Life a visité la rédaction du journal le plus irrévérencieux de Shanghai.

Assise derrière son minuscule bureau, au beau milieu de la rédaction du China Business News, Wang Yue, 27 ans, range rapidement les feuilles de papier éparpillées, puis se connecte en quelques clics à l’Intranet du journal pour nous montrer l’étendue de sa production. Chaque mois, cette journaliste du grand quotidien économique de Shanghai, écrit en moyenne une vingtaine d’articles, notés de 1 à 7, en fonction de leur qualité, par son rédacteur en chef. Malgré son jeune âge, Wang est déjà une experte de la santé, le secteur qu’elle couvre depuis son arrivée au journal, en 2013, non sans courage, ni célérité. Car entre une interview du président de Sanofi, des articles à chaud ou des reportages plus fouillés, Wang Yue n’oublie jamais… l’investigation.

Wang Yue, 27 ans, diplômée de l’université Fudan, est une journaliste experte du secteur de la santé. Très bosseuse, elle écrit en moyenne une vingtaine d’articles par mois, en ayant à coeur de pousser l’investigation dans son domaine.
Wang Yue, 27 ans, diplômée de l’université Fudan, est une journaliste experte du secteur de la santé. Très bosseuse, elle écrit en moyenne une vingtaine d’articles par mois, en ayant à coeur de pousser l’investigation dans son domaine. Eric Leleu

« Chaque mois, j’essaie de publier deux ou trois enquêtes, affirme sans détours cette diplômée en journalisme de l’université Fudan, tout en pointant le doigt sur l’écran de l’ordinateur. Là, par exemple, j’ai rédigé un papier sur JiuYi 160, une société qui a licencié 600 personnes en six mois. Cette entreprise de Shenzhen, cotée en Bourse, a mis au point une application qui permet de prendre rendez-vous avec des médecins à l’hôpital directement depuis son téléphone portable. Un des salariés de la boîte m’a contactée et m’a révélé que la direction avait annoncé aux employés que les salaires ne seraient pas versés normalement en cette fin d’année. Regardez, j’ai été obligée de flouter le nom de ma source, mais j’ai mis une capture d’écran de l’e-mail interne envoyé par les RH ! »

China Business News en chiffres

  • Quotidien économique et financier fondé en 2004, détenu par trois actionnaires : le Shanghai Media Group, Alibaba et State Grid, le grand réseau d’électricité de l’Etat chinois. En juin 2015, Alibaba, le géant chinois de l’e-commerce, prenait 30 % du China Business News en investissant presque 200 M $ dans le journal.
  • Président directeur général et rédacteur en chef : Zhou Jiangong.
  • Devise, imprimée chaque jour à la une : « Dui shidai fuze », soit « au service de notre époque ».
  • Effectif de la rédaction : plus de 120 journalistes (tous médias confondus), dont 80 pour le seul quotidien.
  • Diffusion totale : 893 000 exemplaires chaque jour, parution du lundi au samedi.
  • Poids des abonnements : plus de 90 % de la diffusion totale, le reste en kiosque.
  • Publication du tout premier numéro : le 15 novembre 2004.
  • Prix de l’édition papier : 2 ¥, soit environ 0,30 €.
  • Trafic sur le site web (www.yicai.com) : 4 M de pages vues par jour.
  • Trafic sur l’application : elle a été téléchargée 5 M de fois depuis son lancement et est utilisée chaque jour par 500 000 personnes.
  • Nombres de followers sur Weibo, le Twitter chinois : 8 M pour le seul quotidien.

Le China Business News, sorte de Financial Times shanghaïen

Wang Yue n’est pas un cas isolé au sein du China ­Business News. Fondé en 2004 et propriété du Shanghai Media Group, ce quotidien d’une douzaine de pages, sorte de ­Financial Times local, a acquis ­suffisamment de crédibilité auprès des autorités pour pouvoir s’autoriser à dénoncer les pratiques abusives menées par certaines entreprises chinoises. Le reste du temps, le sérieux de ses 80 journalistes lui permet aussi de décrocher des interviews exclusives, par exemple avec Zhou Xiaochuan, le puissant (mais discret) gouverneur de la Banque centrale chinoise, l’un des personnages les plus importants de la ­deuxième économie mondiale. Ou bien encore de formuler des recommandations de politique économique dans ses éditos et ses articles, lus par de nombreux hauts fonctionnaires à travers la Chine.

L’un des journaux les plus influents de la capitale économique chinoise

Depuis l’extérieur, pourtant, rien n’indique que cette banale tour de 21 étages du centre de Shanghai, située juste en face d’une ancienne bâtisse coloniale de 1911 et d’un grand DS Store de PSA, abrite l’un des journaux les plus influents de la capitale économique chinoise… Dans le hall d’accueil, un peu défraîchi, des palmiers en plastique, un piano à queue ainsi qu’un stand de fruits frais accueillent les visiteurs. La rédaction, elle, se situe au 8e étage : là-haut, les journalistes du China Business News rédigent en silence dans l’open-space. Depuis 2014, la rédaction du quotidien a fusionné avec celle de CBN, l’une des deux chaînes de télévision que possède également le groupe.

En 2014, la rédaction du quotidien a fusionné avec la chaîne de télévision CBN. Leurs locaux sont désormais situés dans le centre de Shanghai, dans une tour de 21 étages.
En 2014, la rédaction du quotidien a fusionné avec la chaîne de télévision CBN. Leurs locaux sont désormais situés dans le centre de Shanghai, dans une tour de 21 étages. Eric Leleu

Analyse en profondeur

Zhou Jiangong, le directeur général et rédacteur en chef, travaille, lui, un peu plus loin. Dans son bureau, il explique ce qui fait l’essence de son titre : « Cela fait deux ans que le journal analyse, en profondeur et en continu, les problèmes de l’économie chinoise : la pollution industrielle, les écarts de richesse, les conflits commerciaux avec l’UE ou les États-Unis, le plongeon de la Bourse de l’été 2015, la dévaluation récente du yuan… C’est un point cardinal de notre couverture. L’économie chinoise traverse actuellement de grosses difficultés », ­raconte très franchement ce journaliste chinois de 50 ans, ancien patron de l’édition de Forbes en mandarin. « Il y a, bien sûr, des sujets sensibles. Si nous pouvons les traiter dans notre journal, c’est parce que nos relations avec les décideurs économiques et le gouvernement central sont excellentes. Bien que nous ne soyons pas un média officiel contrôlé par le parti, les autorités nous font confiance. Elles estiment que nous avons une connaissance juste et précise de l’économie chinoise. »

Zhou Jiangong, président et rédacteur en chef du quotidien.
Zhou Jiangong, président et rédacteur en chef du quotidien. Eric Leleu

A vrai dire, le China ­Business News n’a pas attendu longtemps avant de « porter la plume dans la plaie » comme disait Albert Londres. Deux ans seulement après sa création, il dénonçait, déjà en 2006, la pression infernale exercée par Foxconn, le géant taïwanais de la sous-­traitance électronique et l’un des fournisseurs d’Apple, sur son armée de travailleurs à travers la Chine. Plus tard, en 2010, une vague sans précédent de suicides parmi les ouvriers du groupe avait contraint la société à installer des filets aux fenêtres des dortoirs pour empêcher de nouvelles ­défenestrations. « ­Foxconn a riposté en gelant les comptes bancaires personnels de nos deux journalistes à l’origine de l’enquête. Ils nous ont aussi intenté un procès, se ­souvient Zhou Jiangong. Mais quand, à notre tour, nous avons révélé au public l’affaire du gel des comptes bancaires, tous les médias et les avocats du pays nous ont soutenus. ­Finalement, nous avons trouvé un arrangement. Depuis, on a moins couvert Foxconn, même si, bien sûr, dès qu’il y a un nouveau suicide, on en parle dans nos pages. »

Liberté de ton

Plus récemment, le China Business News a enquêté sur Hanneng, une société de 10 000 employés basée à Pékin, spécialisée dans les énergies renouvelables. L’entreprise se préparait à faire son entrée à la Bourse de Hong Kong lorsque le journal a dégainé, en avril 2015, cinq articles exposant le finan­cement opaque du groupe. « Les autorités hong-kongaises ont ensuite mené leur propre enquête. A ce jour, Hanneng n’est toujours pas cotée en Bourse ! » se félicite Zhou Jiangong, un ancien diplômé de l’université américaine Johns Hopkins, vêtu, lors de notre rencontre fin octobre, d’une chic veste en tweed. En Chine, de tels articles d’investigation ne sont pas si fréquents, et les médias « libéraux » qui les publient s’exposent généralement aux sanctions de la censure.

Depuis l’arrivée au pouvoir, fin 2012, du président chinois Xi Jinping, le contrôle des médias a par ailleurs été renforcé d’un cran. Tandis que des pans entiers de la société civile chinoise, des avocats aux universités, en passant par les ONG, font les frais de cette dérive autoritaire, le China ­Business News semble paradoxalement avoir conservé sa liberté de ton. Non content de croiser le fer avec Foxconn, le journal avoue de surcroît vouloir influencer les politiques publiques. « Nous souhaitons que nos articles relaient la voix du marché et celle du monde de l’industrie pour qu’ensuite le gouvernement chinois formule des politiques économiques plus complètes, plus intégrées », résume Zhang Zhiqing, 42 ans, le vice-­rédacteur en chef du journal et l’un de ses plus anciens collaborateurs.

En Chine, la prudence est une nécessité du journalisme

En février 2016, le China Business News s’est dédoublé et dispose désormais d’un site web en anglais. Le contenu, issu du journal en chinois, est traduit en externe puis réécrit par une équipe de six Britanniques recrutés spécialement pour ce nouveau projet. Mais là, la rédaction semble prendre plus de précautions. « Sur ce site, nous ne parlons pas de politique. Nous couvrons trois domaines : la vie des entreprises, les entrepreneurs chinois et le secteur des TMT, soit les télécoms, les médias et les hautes technologies », détaille son rédacteur en chef, Zhou Xin, 44 ans.  « En Chine, pursuit ce philosophe de formation, le gouvernement opère un contrôle plutôt strict sur les médias. Alors, même si les coopérations entre sites d’informations traitant de l’économie sont d’ordinaire plus faciles à monter, elles restent néanmoins très surveillées par les autorités. » Et, de fait, dans ce pays très opaque qu’est la Chine, la précaution est une contrainte du journalisme, surtout celui que pratique le China Business News, l’irrévérencieux journal de Shanghai à qui l’on souhaite, au passage, de nombreux autres faits d’armes éditoriaux.

Le Shanghai Media Group (SMG) en chiffres

  • Groupe de presse multimédia, le Shanghai Media Group est né de la fusion de plusieurs entités, dont son ancêtre, la Radio du peuple de Shanghai, fondée en 1949.
  • Siège : 651 Nanjing West Road, Shanghai.
  • Effectifs totaux : 17 200 employés.
  • Actifs : plus de 61 Mds ¥, soit plus de 8 Mds €.
  • Le groupe possède en tout : 15 stations de radios, 15 chaînes de télévision, 15 chaînes câblées, 8 journaux et magazines, dont le China Business News.

Voir plus d’articles sur le sujet
Continuer la lecture